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qu’elles ne fe fervoient que de l’oeil le plus fort, toutes
les fois qu’elles vouloient apercevoir des objets éloignés,
& qu’elles étoient forcées d’employer l’oeil le plus foible
pour, voir les objets trop voifins. Je ne crois pas qu’on
puilfe remédier à ce défaut, fi ce n’eft en portant des
lunettes, dont l’un des verres feroit convexe & l’autre
concave, proportionnellement à la force ou à la foiblelfe
de chaque oeil; mais il faudroit avoir fait lùr cela plus
d’expériences que je n’en ai fait, pour être fur de
quelque lùccès.
, J ’ai trouvé plufieurs perfonnes qui fans être louches,
avoient les yeux fort inégaux en force ; lorfque cette
inégalité eft très-confidérable , comme, par exemple,
de x ou d e * , alors l’oeil foible ne fe détourne pas,
parce qu’il ne voit prefque point, & on eft dans le cas
des borgnes, dont l’oeil obfcurci ou couvert d’une taie,
ne laide pas de diivre les mouvemens du bon oeil ; ainfx
dès que l ’inégalité eft trop petite ou de beaucoup trop
grande, les yeux ne font pas louches, ou s’ils le font,
on peut les rendre droits, en couvrant, dans les deux
cas , le bon oeil pendant quelque temps ; mais fi l’inégalité
eft d’un tel degré que l’un des yeux ne forve qu’à
offufquer l ’autre & en troubler la fondation , on fera
louche d’un foui oeil làns remède ; & fi l’inégalité eft
telle que l ’un des yeux foit prefbite, tandis que l’autre
eft myope, on.fera louche des deux yeux alternativement,
& encore fans aucun remède.
J ’ai vu quelques perfonnes que tout le monde difoit
À l ' H i s t o i r e N a t u r e l l e . 439
être louches, qui le paroidoient en effet, & qui cependant
ne l’étoient pas réellement, mais dont les yeux avoient
un autre défaut, peut-être plus grand & plus difforme;
les deux yeux vont enfemble, ce qui prouve qu’ils ne
font pas louches, mais ils font vacillans, & ils fe tournent
fi rapidement & fi fiibitement qu’on ne peut jamais
reconnoître le point vers lequel ils font dirigés: cette
efpèce de vue égarée n’empêche pas d’apercevoir les
objets, mais c ’eft toujours d’une manière indiftinéte; ces
perfonnes lifent avec peine, & lorfqu’on les regarde,
l’on eft fort étonné de n’apercevoir quelquefois que le
blanc des yeux, tandis qu’elles difont vous voir & vous
regarder, mais ce font des coups d’oeil imperceptibles,
par lefquels elles aperçoivent; & quand on les examine
de près, on diftingue aifément tous les mouvemens dont
les direétions font inutiles, & tous ceux qui leur fervent
à reconnoître les objets.
Avant de terminer ce Mémoire, il eft bon d’obforver
une chofe effentielle au jugement qu’on doit porter fur
le degré d’inégalité de force dans les yeux des louches ;
j’ai reconnu dans toutes lès.expériences que j ’ai faites,
que l ’oeil louche qui eft toujours le plus foible, acquiert
de la force par l ’exercice, & que plufieurs perfonnes
dont je jugeois le ftrabifine incurable, parce que par les
premiers effais j’avois trouvé un trop grand degré d’inégalité
, ayant couvert leur bon oeil feulement pendant
quelques minutes, & ayant par conféquent été obligées
d’exercer le mauvais oeil pendant ce petit temps, elles