mais aucun n’avoit les yeux égaux, & il y avoit toujours
une différence très-fenfible dans la diftance à laquelle ils
apercevoient les objets, & l ’oeil louche s’eft toujours
trouvé le plus foible. J ’ai obfervé conflamment que quand
on couvre le bon oeil, & que ces louches ne peuvent
voir que du mauvais, cet oeil pointe & fe dirige vers
l ’objet auffi régulièrement & auffi diredement qu’un oeil
ordinaire ; d’où il eft aifé de conclure qu’il n’y a point
de défaut dans les mufcles, ce qui fe confirme encore
par l ’obfervation tout auffi confiante que j ’ai faite en
examinant le mouvement de ce mauvais oeil, j & en appuyant
le doigt fur la paupière du bon oeil qui étoit
fermé, & par lequel j’ai reconnu que le bon oeil fùivoit
tous les mouvemens du mauvais oe il, ce qui achève de
prouver qu’il n’y a point de défaut de correfpondance
ou d’équilibre dans les mufcles des yeux.
La fécondé objeétion demande un peu plus de
difcuffion : je conviens que de quelque côté qu’on
tourne le mauvais oe il, il ne laiffe pas d’admettre des
images qui doivent un peu troubler la netteté de l’image
reçue par le bon oeil ; mais ces images étant abfofument
differentes, & n’ayant rien de commun ni par la grandeur
ni par la figure, avec l’objet fur lequel eft fixé le bon
oe il, la fenfàtion qui en réfùlte , eft pour ainft dire,
beaucoup plus fourde que ne feroit celle d’une image
fèmblable. Pour le faire voir bien clairement, je vais
rapporter un exemple qui ne m’eft que trop familier:
j’ai le défaut d’avoir la vue fort courte & les yeux un
À l ' H i s t o i r e N a t u r e l l e . 4 2 7
peu inégaux , mon oeil droit étant un peu plus foible
que le gauche; pour lire de petits caradères ou une
mauvaife écriture, & même pour voir bien diftindement
les petits objets à une lumière foible, je ne me fers que
d’un oeil ; j’ai obfervé mille & mille fois qu’en me
fèrvant de mes deux yeux pour lire un petit caradère,
je vois toutes les lettres mal terminées,- & en tournant
l ’oeil droit pour ne me fèrvir que du gauche, je vois
l’image de ces lettres tourner auffi & fe féparer de l’image
de l’oeil gauche , en forte que ces deux images me
paroiffent dans différens plans ; celle de l ’oeil droit
n’eft pas plutôt féparée de celle de l ’oeil gauche , que
celle-ci refte très-nette & très-diftinde ; & fi l’oeil
droit refte dirigé fur un autre endroit du livre, cet endroit
étant différent du premier, il me paroît dans un différent
plan, & n’ayant rien de commun il ne m’affede
point du tout, & ne trouble en aucune façon la vifion
diftinde de l’oeil gauche: cette fenfàtion de l’oeil droit
eft encore plus infènfible , fi mon oeil -, ' comme cela
m’arrive ordinairement en lifànt, fe porte au-delà de la
juftification du livre, & tombe fur la marge, car dans
ce cas l ’objet de la marge étant d’un blanc uniforme,
à peine puis-je m’apercevoir, en y réfléchiffant, que mon
oeil droit voit quelque chofe. Il paroît ici qu’en écartant
l’oeil foible, l’objet prend plus de netteté ; mais ce qui
va diredement contre l’objedion, c ’eft que les images qui
font différentes de celle de l ’objet, ne troublent point du
tout la fenfàtion, tandis que les images femblables à l ’objet»
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