fiècle barbare! pourquoi nous expofor les vices groiïiers
de ces peuplades encore à demi -fauvages, dont même
les vertus pourraient produire le crime! pourquoi nous
préfonter des foélérats pour des héros, & nous peindre
éternellement de petits oppreffeurs d’une ou deux bourgades
comme de grands Monarques ! ici l’éloignement
grolfit donc les objets, plus que dans la Nature il ne les
diminue. J ’admire cet art iliufoire qui m’a fouvent arraché
des larmes pour des viéliines fabuleufos ou coupables;
mais cet art ne Jèroit-il pas plus vrai, plus utile, & bientôt
plus grand , fi nos hommes de génie l’appliquoient comme
M. de Belloi, aux grands perfonnages de notre Nation !
L e fiége de Calais & le fiége de Troie ! quelle compa-
raifon , diront les gens épris de nos Poètes tragiques ! les
plus beaux efprits, chacun dans leur fiècle, n’ont-ils pas
rapporté leurs principaux talens à cette ancienne & brillante
époque à jamais mémorable! Que pouvons-nous
mettre à côté de Virgile & de nos maîtres modernes,
qui tous ont puifé à cette fource commune! tous ont
fouillé les ruines & recueilli les débris de ce fiége fameux
pour y trouver les exemples des vertus guerrières, & en
tirer les modèles des Princes & des Héros ; les noms de
ces Héros ont été répétés, célébrés tant de fois, qu’ils
font plus connus que ceux des grands hommes de notre
propre fiècle.
Cependant ceux-ci font ou forant confacrés par l’hrf-
toire, & les autres ne font fameux que par la fiction ; je
ie répète, quels étoient ces Princes! que pouvoient être
ces prétendus Héros ! qu’étoient même ces peuples Grecs
ou Troyens! quelles idées avoient-ils de la gloire des
armes, idées qui néanmoins font malheureufoment les premières
développées dans tout peuple fauvageils n’avoient
pas même la notion de l ’honneur, & s’ils connoifioient
quelques vertus, c ’étoient des vertus féroces qui excitent
plus d’horreur que d ’admiration. Cruels par fuperftition
autant que par inflinét, rébelles par caprice ou fournis
fans raifon , atroces dans les vengeances, glorieux par le
crime, les plus noirs attentats donnoient la plus haute
célébrité. On transformoit en héros un être farouche,
fans ame, fans elprit, fans autre éducation que celle d’un
lutteur ou d’un coureur; nous refuforions aujourd’hui le
nom d’hommes à ces eipèces de monftres dont on fâifoit
des Dieux.
Mais que peut indiquer cette imitation , ce concours
foccelfif des Poètes à toujours préfonter l ’héroifine fous
les traits de l’elpèce humaine encore informe ! que prouve
cette préfonce éternelle des aéleurs d’Homère fur notre
foène ! finon la pui fiance immortelle d’un premier génie
foir les idées de tous les hommes. Quelque fublimes que
foient les ouvrages de ce père des Poètes, ils lui font
moins d’honneur que les productions de fos defcendans
qui n’en font que les glofos brillantes ou de beaux
commentaires. Nous ne voulons rien ôter à leur gloire;
mais après trente fiècles des mêmes illufions, ne doit-on
pas au moins en changer les objets !
Les temps font enfin arrivés. Un d’entre yous,
F i j