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Mejùres Arithmétiques.
I l n’étoit donc pas poffible de leur appliquer une
mefure commune qui fût réelle, mais la mefure intellectuelle
s’eft préfentée naturellement; cette mefure eft le
nombre qui, pris généralement, n’eft autre chofe que
l ’ordre des quantités : c ’eft une mefure univerfelle & applicable
à toutes les propriétés de la matière" mais elle
n’exifte qu’autant que cette application lui donne de la
réalité, St même elle ne peut-être conçue indépendamment
de Ion fujet; cependant on eft venu à bout de
la traiter comme une chofe réelle, on a repréfenté les
nombres par des caraétères arbitraires, auxquels on a
attaché les idées de relation prifes du fujet, & par ce moyen
on s’eft trouvé en état de mefurer leurs rapports, fans
aucun égard aux relations des quantités qu’ils repréfèntent.
Cette meftire eft même devenue plus familière à I’efprit
humain que les autres mefures ; c’eft en effet le produit
pur de lès réflexions ; celles qu’il fait fur les mefures
d’un autre genre, ont toujours pour objet la matière,
& tiennent fouvent des obfcurités qui l’environnent. Mais
ce nombre, cette mefure qui, dans l’abftrajt, nous paroît
fi parfaite a bien des défauts dans l’application, & fouvent
la difficulté des problèmes dans les Sciences mathématiques
, ne vient que de l’emploi forcé & de l’application
contrainte qu’on eft obligé de faire d’une mefure numérique
abfolument trop longue ou trop courte ; les nombres
Xourds, les quantités qui ne peuvent s’intégrer, & toutes
d ’A r i t h m é t i q u e m o r a l e . 1 1 1
les approximations prouvent l’imperfeéfion de la mefure,
&plus encore la difficulté des applications.
Néanmoins il n’étoit pas permis aux hommes de
rendre dans l’application cette mefure numérique parfaite
à tous égards, il auroit fallu pour cela que nos connoift
fances fur les différentes propriétés de la matière, fo
fuffent trouvées être du même ordre, & que ces propriétés
elles-mêmes euffent eu des rapports analogues,
accord impoffible & contraire à la nature de nos fens,
dont chacun produit une idée d’un genre différent St
incommenfurable.
X X V I .
M a i s on auroit pu manier cette meftire avec plus
d’adreffe , en traitant les rapports des nombres d’une
manière plus commode & plus heureufe dans l’application
; ce n’eft pas que les loix de notre arithmétique ne
foient très-bien entendues , mais leurs principes ont été
pofés d’une manière trop arbitraire, & fans avoir égard
à ce qui étoit néceflaire pour leur donner une jufte convenance
avec les rapports réels des quantités.
L ’exprefïïon de la marche de cette mefure numérique,
autrement l’échelle de notre arithmétique, auroit pu être
différente, le nombre io étoit peut être moins propre
qu’un autre nombre à lui fèrvir de fondement, car pour
peu qu’on y réfléchiffe, on aperçoit aifëment que toute
notre arithmétique roule fur ce nombre io & fur les
puiffances, e ’eft-à-dire, fur ce même nombre io multiplié
par lui-même ; les autres nombres primitifs ne font