même de ceux qui fe portent le mieux, & qui ne font
pas encore dans un âge fort avancé, je les prie de s’en
rapporter à moi ; ils ont encore à foixante-dix ans l’ef-
pérance légitime de fix ans deux mois, à foixante-quinze
ans l’efpérance toute aufli légitime de quatre ans fix mois
de v ie , enfin à quatre-vingts & même à quatre-vingt-fix
ans, celle de trois années de plus; il n’y a donc de fin
prochaine que-pour ces âmes foibles qui fe plaifent à la
rapprocher; néanmoins le meilleur uïàge que l’homme
-puiffe faire de la vigueur de fon efprit, c ’eft d’agrandir les
images de tout ce qui peut lui plaire en les rapprochant,
& de diminuer au contraire en les éloignant, tous les
objets défagréables, & fur-tout les idées qui peuvent
faire fon malheur ; & fouvent il fuffit pour cela de voir
les chofes telles qu’elles font en effet. La vie, ou fi l’on
veut la continuité de notre exiftence ne nous appartient
qu’autant que nous la fentons ; or ce fontiment de l ’exiff
tence n’eft-il pas détruit par le fommeil ! chaque nuit nous
ceffons d’être, & dès-lors nous ne pouvons regarder la
vie comme une fuite non interrompue d’exiftences fendes,
ce n’eft point une trame continue, e’eft un fildivifé par
des noeuds ou plutôt par des coupures qui toutes appartiennent
à la mort, chacune nous rappelle l ’idée du
dernier coup de cifoau, chacune nous repréfente ce que
c ’eft que de ceffer d’être ; pourquoi donc s’occuper de
la longueur plus ou moins grande de cette chaîne qui fe
rompt chaque jour ! Pourquoi ne pas regarder & la vie
& la mort pour ce qu’elles font en effet ! mais comme
il y a plus de coeurs pufillanimes que d’ames fortes,
l ’idée de la mort fe trouve toujours exagérée, fa marche
toujours précipitée, fe s approches trop redoutées, & fon
afpeét infoutenabie ; on ne penfe pas que l’on anticipe
malheureufement fur fon exiftence toutes les fois que
l’on s’affe&e de la deftrudion de fon corps ; car ceffer
d'être n’eft rien, mais la crainte eft la mort de i’ame.
Je ne dirai pas avec le Stoïcien, Mors homini fummum
lonwnDïis denegatwn , je ne la vois ni comme un grand
bien ni comme un grand mal, & j’ai tâché de la repré-
fenter telle qu’elle eft ( volume I I , pages jy S Ir fuiv.J;
j’y renvoie mes Leéleurs, par le defir que j ’ai de
contribuer à leur bonheur.