de néceffité, & l’écu qui complète les fàcs d’un financier,
n’ont pour l’Avare & pour le Mathématicien que la même
valeur, celui-ci les comptera par deux unités égales,
l ’autre le les appropriera avec un plaifir égal, au lieu que
l ’homme fenfé comptera l’écu du pauvre pour un louis,
& l ’écu du financier pour un liard.
X X .
U ne autre confédération qui vient à l ’appui de cette
eftimation de la valeur morale de l’argent, c ’eft qu’une
probabilité doit être regardée comme nulle dès qu’elle
n’ell que , 0*00, c’elt-à-dire, dès qu’elle eft aulfi petite
que la crainte non lèntie de la mort dans les vingt-quatre
heures. On peut même dire, qu’attendu l’intenfité de
cette crainte de la mort qui eft bien plus grande que
l ’intenfité de tous les autres fentimens de crainte ou
d’efpérance, l’on doit regarder comme prefque nulle, une
crainte ou une elpérance qui n’auroit que ■ io‘o-- de probabilité.
L ’homme le plus foible pourroit tirer au fort fans
aucune émotion, fi le billet de mort étoit mêlé avec dix
mille billets de vie ; & l ’homme ferme doit tirer fans
crainte, fi ce billet eft mêlé fur mille ; ainfi dans tous les cas
où la probabilité eft au-deffous d’un millième , on doit la
regarder comme prelque nulle. O r , dans notre queftion ,
la probabilité fe trouvant être -j’ÙSgj dès le dixième terme
de la fuite - , g-, t j * HT’ tts> tôt* >
s’enfuit que moralement penfànt, nous devons négliger
tous les termes fuivans , & borner toutes nos efpérances à
ce dixième terme ; ce qui produit encore cinq écus pour
d ’A r i t h m é t i q u e m o r a l e . 91
l ’équivalent que nous avons cherché, & confirme par
conféquent la juftefle de notre détermination.
En réformant & abrégeant ainfi tous les calculs où
la probabilité devient plus petite qu’un millième, il ne
reftera plus de contradiétion entre le calcul mathématique
& le bon fens, Toutes les difficultés de ce genre difpa-
roiffent. L ’homme pénétré de cette vérité ne fe livrera
plus à de vaines efpérances ou à de fauffes craintes ; il
ne donnera pas volontiers fon écu pour en obtenir mille,
à moins qu’il ne voie clairement que la probabilité eft
plus grande qu’un millième. Enfin il fe corrigera du
frivole efpoir de faire une grande fortune avec de petits
moyens.
X X I .
J usqu’ ic i je n’ai raifonné & calculé que pour
l’homme vraiment fàge, qui ne fè détermine que par le
poids de la raifon; mais ne devons-nous pas faire auffi
quelque attention à ce grand nombre d’hommes que
l’illufion ou la paffion déçoivent, & qui fouvent font
fort aifès d’être déçus! n’y a -t-il pas même à perdre
en préfèntant toujours les choies telles qu’elles font I
L ’efpérance, quelque petite qu’en foit la probabilité,
n’eft-elle pas un bien pour tous les hommes, & le feul
bien des malheureux! Après avoir calculé pour le Sage,
calculons donc auffi pour l’homme bien moins r a r e q u i
jouit de les erreurs fouvent plus que de fà raifon. Indépendamment
des cas où faute de tous moyens, une
lueur d’efpoir eft un fouyerain bien ; indépendamment
M i jf