un mouvement continu & dans un temps prefcrit. L ’ouvrage
étonne, mais c’eft l ’empreinte divine dont il porte
les traits qui doit nous frapper. L ’efprit humain ne peut
rien créer, il ne produira qu’après avoir été fécondé par
l ’expérience & la méditation; fès connoiflances font les
germes de fes productions : mais s’ il imite la Nature dans
fa marche & dans fon travail, s’il s’élève par la contemplation
aux vérités les plus fublimes, s’il les réunit, s’il
les enchaîne, s’il en forme un tout, un fÿftème par la
réflexion, il établira fur des fondemens inébranlables, des
monumens immortels.
C ’efl faute de plan, c ’eft pour n’avoir pas aflez réfléchi
furfon objet, qu’un homme d’efprit fe trouve embarrafle,
& ee fait par où commencer à écrire : il aperçoit à la
fois un grand nombre d’idées; & comme il ne les a ni
comparées ni fùbordonnées, rien ne le détermine à
préférer les unes aux autres; il demeure donc dans la
perplexité ; mais lorfqü’il fe fera fait un plan, lorfqu’une
fois il aura raflemblé & mis en ordre toutes les penfées
eflentielles à fon fùjet, il s’apercevra aifément de l’inflant
auquel il doit prendre la plume, il fèntira le point de
maturité de la production de l’efprit, il fera prefle de
la faire éclore, il n’aura même que du plaifir à écrire :
les idées fe fùccèderont aifément, & le ftyle fera naturel
& facile; la chaleur naîtra de ce plaifir, fe répandra partout
& donnera de la vie à chaque exprefïïon ; tout
s’animera de plus en plus; le ton s’élèvera, les objets
prendront de la couleur; & le fentiment fe joignant à
la lumière, l ’augmentera, la portera plus loin, la fera
pafler de ce que l ’on dit, à ce que l’on va dire, & le
ftyle deviendra intéreflant & lumineux.
Rien ne s’oppofe plus à la chaleur, que le defir de
mettre par-tout des traits faillans; rien n’eft plus contraire
à la lumière qui doit faire un corps & fe répandre uniformément
dans un écrit, que ces étincelles qu’on ne
tire que par force en choquant les mots les uns contre
les autres, & , qui ne vous éblouiflent pendant quelques
inftans que pour nous laifler enfùite dans les ténèbres.
C e font des penfées qui ne brillent que par l’oppofition,
l ’on ne préfente qu’un côté de l’objet, on met dans
l ’ombre toutes les autres faces ; & ordinairement ce côté
qu’on choifit eft une pointe, un angle fur lequel on fait
jouer l’efprit avec d’autant plus de facilité qu’on l’éloigne
davantage des grandes faces fous lefquelles le bon fens
a coutume de confidérer les chofes.
Rien n’eft encore plus oppofé à la véritable éloquence
que l’emploi de ces penfées fines, & la recherche de
ces idées légères, déliées, fans confiftance, & qui,
comme la feuille du métal battu, ne prennent de l’éclat
qu’en perdant de la folidité : auflï plus on mettra de cet
efprit mince & brillant dans un écrit, moins il aura de
nerf, de lumière, de chaleur & de ftyle, à moins que
cet efprit ne foit Jui-même le fond du fujet, & que
l’écrivain n’ait pas eu d’autre objet que la plaifànterie ;
alors l ’art de dire de petites chofes, devient peut-être
plus difficile que l’art d’en dire de grandes.