
 
		&   q u ’ il  a vo it  auffi  ré fo lu   c e t te   qu e ftion  par  u n e   v o ie 
 33 contefter fon calcul  mathémati-  
 33 que ;  cependant  loin de donnér  
 » un  équivalent  infini,  il  n’y a  
 j) point d’homme de bon feus qui  
 3» voulût  donner  vingt  écus,  ni  
 y> même  dix.  , 
 33  La  raifori rfe  cettè contrariété'  ■  
 » entre  le calcul mathématique  & 
 » le bon fens, me femble confifter  
 » dans  le peu  de proportion qu’iL  
 » y a  entre  l’argent  &  l’avantage  
 » qui'en rélulte.  Un Mathémati-  
 33 cieu  dans  Ion  calcul ,  n’eftimë  
 ■33 l’argent  que  par  fa  quantité ,  
 » c’eft-à-dire, par fa valeur numé-  
 33 rique  mais l’homme moral doit  
 33 l’ëftimër  autrement  &  unique-  
 33 ment  par-  les  avantages  ou  le  
 33 plaifir qu’il peut procurer ;  il eft  
 33 certain  qu’il  doit  fe  conduire  
 33 dans  cette  v u e ,  &  n’eftimer  
 33 l’argent  qu’a  proportion  des  
 »avantages  qui  en  ré fuit en t r  &  
 » non pas relativement à Ia.quan-  
 33 tiré  qui  ,  paffé  de  certaines,  
 33 bornes ,  ne. pourroit  nullement  
 33 augmenter  fon  bonheur ;  ilne  
 33 feroit, par exemple,  guère plus  
 33 heureux avec mille millions qu’il  
 » le feroit avec cent,  ni avec cent  
 33 mille millions, plus qu’avec mille  
 33 millions ;  ainfi paffé de certaines  
 33 bornes, il auroit très-grand tort 
 de  hafarder  fon  argent.  Si,parte  
 exemple,  dix mille écuS étoient«  
 tout  fon  bien,  il auroit un  tort «  
 infini de-les hafarder, & plus ces «c  
 dix  mille  écus  feront  un  objet.«:  
 par  rapport à lui, plus il aura de «  
 tort ;  je crois  donc que  fon tort cc  
 feroit  infini,  tant  que  ces  dix«  
 mille  écus  feront une  partie de «  
 i fon  néceffaire ,,  c’eft -  à -  dire, «  
 tant  que  ces  dix  mille  écus  lui «  
 feront  abfolument  néceffaires «  
 pour  vivre,  comme  il  a  été «  
 élevé  &  comme  il.  a  toujours «  
 vécu ;  fi ces dix mille  écus  font «  
 de  fon fuperflu,  fon  tort dimi- «  
 nue,  & plus ils feront une petite « 
 :  partie  de  fon  fuperflu  &  plus «  
 fon  tort  diminuera  mais  il  ne «  
 fera jamais nul,  à moins qu’il ne «  
 "puiffe  regarder  cette  partie  de « 
 ‘  fon  fuperflu  comme  indiffé- « 
 -  rente,  ou bien  qu’il ne  regarde «  
 la  fournie  efpérée  comme  né- «  
 ceffaire  pour  réuflîr  dans  un«   
 deffeiii  qui  lui  donnera  à  pro- «  
 portion,  autant  de  plaifir. que « 
 .  cette  même  femme  eft  plus«,  
 grande que.  celle  qu’il hafarde, «  
 &  c’eft  fur  cette  façon  d’envi- «  
 fager un bonheur à venir, qu’on «  
 ne peutpoint donner de règles, «  
 j  il  y a  des  gens pour qui i’efpé- « 
 » rance  elle-même  eft  un  plaifir  
 33 plus  grand  que  ceux  qu’ils  
 33 pourraient  fe  procurer  par  la  
 33 jouiffance  de  leur  mife ;  pour  
 33 raifonner  donc  pins  certaine-  
 33 ment  fur  toutes  ces  chofes,  il  
 33  faudroit  établir  quelques  prin-  
 33- eipes ;  je  dirois ,  par  exemple ,  
 » que  le  néceflaire  eft  égal  à  la  
 33 fbmme  qu’on  eft  oblige  de  
 33  dépenfer pour continuer à vivre  
 33  comme  on  a toujours  vécu;  le  
 » néceffaire  d’un  Roi  fera,  par  
 » exemple ,  dix millions  de  rente  
 33  (  car  un Roi qui  auroit moins ,  
 33 feroit un Roi pauvre) ;  le nécef-  
 33  faire d’un homme de condition,  
 33 fera  dix  mille  livres  de  rente  
 33  f  car  un  homme  de  condition.  
 33 qui  auroit  moins,.  feroit  un  
 33  pauvre,  feigneur)  ;  le  néceffaire  
 » d’un  payfan  fera  cinq  cents  
 33 livres,  parce  qu’à  moins  que  
 33 d’être dans la misère,  il ne  peut  
 33 moins  dépenfer  pour  vivre  &  
 33 nourrir  fa  famille.  Je  fuppofe-  
 33  rois  que  lé  néceffaire  rte  peut  
 33 nous procurer  des. piaifirs  non-  
 33 veaux  ,  ou  pour  parler  plus  
 » exaélement, j,e compterois pour  
 33 rien  les  piaifirs  ou  avantages  
 33 que  nous  avons  toujours  eus  ,  
 »■  &   d’après  cela,  je  définiras 
 le  fuperflu  ,  ce  qui  pourroit «  
 nous  procure^  d’autres  piaifirs «  
 ou des  avantages* nouveaux ;  je «  
 dirois de plus,  que  la  perte  du «  
 néceffaire  fe  fait reffentir  infini- «  
 ment ;  qu’ainfi  elle ne peut être «  
 compenfée  par  aucune  elpé- «  
 rance,  qu’au  contraire  le  fenti- «  
 ment de la perte du  fuperflu eft «  
 borné,  & que par conféquent il «  
 peut  être  compenfé ;  je  crois «  
 qu’on fent foi-même cette vérité «  
 lorfqu’en  joue ,  car  la  perte, «  
 pour  peu  qu’elle  foit  confidé- «   
 rable ,.  nous  fait  toujours  plus «  
 de  peine  qu’un  gain  égal  ne 33  
 nous fait de plaifir,  & cela  fans «  
 qu’on  puiffe  y   faire  entrer  l’a- «  
 mour  propre mortifié ,.puifque«  
 je fuppofe le  jeu  d’entier. & pur «  
 hafard.  Je  dirois  auffi  que  la «  
 quantité  de  l’argent  dans  lé né- «  
 ceffaire,  eft  proportionnelle  à «  
 ce  qu’il  nous  en. revient,. mais «  
 que  dans  le  fuperflu  cette pro- «  
 portion commence  à  diminuer  , «•  
 &  diminue d’autant plus, que  le «  
 fuperflu  devient  plus grand..  «  
 J.e  vous  laiffe  ,,  Moniteur  , «s  
 juge de ces idées .  &c.  Genève,.«,  
 ce  3  octobre  1730.  Signé Le  «  
 Clerc  de  Buffon-3*