V O Y A G E S
tK
1702. & le Prince Alexandre s'approcha
4. Fcv. de moi. 11 me dit que le Czar aiant
L'Ai
appris que je favois peindi'e , ibuliaitoit
que je fiile les portraits des
trois jeunes Princeffes , filles du
Czar ìvmAlexifiSitz fon frere,qui
avoit régné conjointement avec lui
juiques à fa mort, qui arrivale 29
Janvier 1696; & que c'étoit la principale
raifon pour laquelle on m'avoit
fait venir à la Cour. J'acceptai
cet honneur avec joye , & accompagnai
ce feigneur chez l'Imperatrice
, mere de ces jeunes Prinrimpera
cefles , à une maifon deplaifance
de fa Majefté nommée Ifmeilhoff,
agréablement fituée , à une lieue
dcMofcou, pour les voir avant que
de commencer mon ouvrage. Lors
que j'aprochai de l'Imperatrice ,
elle me demanda fi j'entendois la
langue Rnjjientu, à quoi le Prince
ji/fx^Hi/rc répondit que non, &
puis s'entretmt quelque tems avec
elle. Enfuite, cette Prrncellé fit remplir
une petite taB'e d'eau de vie,
qu'elle prefenta de fes mains à ce
feigneur, lequel après l'avoir buë, la
donna à une de fes filles d'honneur.
Celle-ci la remplit une feconde fois
& l'Imperatrice mela prefenta. Elle
nous donna auffi un verre de
vin, comme firent les trois jeunes
Princeffes. Après cela on remplit
un grand verre de biere, que l'Imperatrice
donna encore , elle-même
, au Prince Alexandre , qui
l'aiant goûtée , le rendit à la fille
d'honneur. La même ceremonie fe
fit à mon égard, & je ne fis que la
porter à la bouche, car on trouveroit
mauvais en cette Cour, que l'on
vuidât le dernier verre de biere
qu'on préfente. Je m'entretins enf
u i t e , au fujet des portraits, avec le
Prince Alexandre, qui parle alfez
bien HoUandois j & lors que nous
fortîmes, l'Imperatrice, & les trois
jeunes Princeffes nous donnèrent la
main droite à baifer. C'eft le plus
grand honneur qu'on puiffe recevoir
Réjouïf. ™cepaïs. Quelquesjours après on
anccsds fitles noces de quelques perfonnes
»»"S- de la fuite du Czar, au palais du
Prmce Alexandre, Sa Majefté y affilia
avec le Prince fon oncle, & plu-,
1702.
5. Mars.
fieurs feigneurs '& dames de la
Cour. On y invita auiii quelques
marchands Ang Us & hoUandois, &•
des dames AUe?nandes. La table,
faite en forme de fer à cheval, fut
couverte dans la grande laie. Le
Czar & les feigneurs Â>i/;ïtKj en occupèrent
un còte, & le« dames l'autre.
Le Prince Czarien, le Prince
Alexandre & les marchands Anglois
& HoUandois etoient à une table ronde
au milieu delà fale, à laquelle je
fus auiii placé. Apres un magnifique
repas, on danlii à la Polonoife,
la mufique qui étoit fort bonne, étant
placée .Ì gauche.
Le Prince Alexandre partit le
même foir, pour aller paffer quelques
jours à la campagne, où il avoit
quelques aftaires. Le onzième
Mr. Fairjael Hems Envoyé de D«kneniarc,
partit audi pour faire un
tour en ion pais, .à deffein de revenir
au printems, & laiffa fa femme
à Mofcon. Le cinquième Aiars ]'sus
l'honneur de diner avec fii Majefté
à Probrofensko , demeure ordinaire
de ce Prince. 11 me mena après dine
au palais del'Imperatrice, pour
voir les portraits des jeunes Prin- po^^jit
ceffes, qui étoient commencez, & des Prin
il l'entretint affez long tems fur mes ^rfco-'
voyages. Le oKZif^e il alla, avecvie. "
quelques feigneurs de fa Cour chez
Mr. Brants, & y vit les tableaux
que j'avois faits à Archangel, dont
il parut fort fatisfait. Endifcourant
de chofe & d'autre, ce Prince tomba
fur le fujet de quelques canons,
que l'on croioit marquez aux armes
de la Republique de Gennes,
repréfentant, comme celles de J^enife,
un lion avec une des pattes de
devant pofée fur un livre. 11 eft vrai
que,comme ils étoientfortanciens,
& que les armes en étoient effacées,
on avoit de la peine à voir fi c'étoit
effeftivement un lion. Ce Prince
fouhaitant des'enéclaircir, refolut
de les aller voir, & on conclud de
s'affembler pour cela au palais du
Prince Alexandre. Sa Majefté s'y
étant rendue au tems marqué, le
Prince Alexandre fit préfent de fa
p a r t , à tous ceux qui s'y trouvèrent,
& qui étoient la plupart marchands
! !
t .
1
1702
I I .Ma
D E C O R N E I L L E LE B R U N
chands étrangers, qu'il eftimoit, d'u- demeure d
s ne médaillé d ' o r , fur laquelle fa Majefté
étoit repréfentée avec une couronne
de laurier fur la t ê t e , & autour
ces paroles en langue Ruffienne.
P i E R n E Al e x e w i tz
G r a n d Cz a r . de t o u te
LA R u s s i e . Il y avoit fur lerevers
deux Aigles avec le jour du
mois, premier de Fevrier, & l'année
1702.
Après y avoir été regalez avec
beaucoup de magnificence, on s'en
retourna au palais de Probrofensko,
que l'on n'eftime pourtant que la
capitaine, fa Ma-1702.
jefté n'aiant.pas pris un titre plus i i . M i rt
relevé jufqu'à prefent. Ce Palais
n'eft q u ' à une lieue de la ville, affez
proche de celui du Prince ^feyandre.
C'eft auffi l'arcenal du regiment
des gardes de ce Prince :
nous y vîmes les trois canons, dont
on a parlé, fur lefquels le lion paroiffoit
fuffifamment, nonobftant
qu'il fût fort ufé. Ils étoient fort
courts, & faits comme des mortiers.
J e ne pus pas apprendre comment -
ils étoient tombés, au tems paffé,
entre les mains des RvJJlens.
C H A P I T R V IL
Fejlim magnifiques donnez par f a Majefté a la campagne. Par.
ticularitez a [égard de l'Imperatrice. Sa Majefté va f e diver,
tir fur la riviere de Moska. Célébration de la Pâqtte des R u t
fiens. Départ de f a Majefté pour f e rendre a Archangel.
Repas s
Stcable
PEndant que nous étions Occupez
à examiner ces canons,
on fit preparer tout ce qui étoit neceffaire
pour fe rendre à un village
du Prince Alexandre,nommé Alexcejeskie,
proche de Lemuenefskie, à
12. werfies de Mofcou , oii ce feigneur
a une belle maifon de campagne
fur la riviere de Toiife. C'eft
un lieu charmant, oil il y a des viviers
admirables remplis de toutes
fortes de poiffon. Mais je n'y
trouvai rien de plus beau que
les écuries , qui font fort grandes
& de bois , comrne la maifon
il y avoit plus de 50. che.
vaux d'une grande beauté. Nous
y trouvâmes quelques dames Allemandes
,qae. iil Majefté y avoit mandées
, pour y faire quelques repas
agréables. Nous étions dix en tout,
notre Refident, trois Anglois & le
refte HoUandois, (ans compter quelques
Seigneurs RuJJiens, & les dames
au nombre de treize, y compris
la foeur du Prince Alexandre.
Nops y fûmes parfiiitement bien reçus
& regalez à fouper de chair &
de poiffon. On avoit couvert deux
tables dans une grande fale, dont
l'une étoit longue, à laquelle fe
mit le Czar & plufieurs feigneurs
d'un c ô t é , & les dames de l'autre;
& une ronde au milieu, où foupe.
rent les Anglois, Si h meilleure partie
des Allemands, ou plutôt des
HoUandois. Après foupé chacun fe
retira à fon appartement, les Ruf.
fiens d'un c ô t é& les dames de l'autre.
Il n'y eut que les étrangers qui
reftérent encore quelque tems enfemble.
Le lendemain il y eut un
autre feftin , femblable au précèdent,
avec d e l à mufique, confif.
tant en violons, bâffes , trompettes,
haut-bois, flûtes &c. On danfa
enfuite à la Polonoife, le Czar
qui étoit de bonne humeur, encourageant
tout le monde à la joye,
fans oublier le vin. La nuit étant
venue on fe retira pour recommencer
le lendemain, qui fe paffa de
même en toutes fortes de divertiffemens
; fans que perfonne f û t incommodé
de la boiflbn, & puis on
fe retira chacun chez foi.
J'obtins alors la permiflion de
faire porter chez moi les portraits
des