V O Y A G E S
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6. Mil,
Maniej
clE CE
dsuil.
pagnons proche d'un lieu nommé
Kierbiia, où elt fon tombeau, ôcoli
les Feîfes, qui l'eftimenc leur veritable
Iman ou chef , fe rendent de
tous cotés avec une dévotion toute
particulière. Aulii, le Koi ^ùas
le Grand failbit-il gloire d'en être
deicendu , chofe dont les Turcs ne
conviennent pas. Ce deuil dure dix
jours de fuite. On fe rend dans les
rués par petites troupes de i o . ; i i 2.
perfonnes à demi nues, quifenoircin'ent
le vifage, & ne reilemblent
pas mal à nos ramoneurs de cheminées
; fpeftacle affreux ! Ils afteftent
un air mortifié, Se chantent des lamentations,
au fon de certaines caftagnettes,
dont on a déjà parlé. Le
meurtre de ce Saint efl reprefenté
par des perfonnes armées , par
fon image , qui efl fort grande &
creufe, mife en mouvement par
ime perfonne renfermée dans ce
creux, dont on voit vifiblementles
jambes. Ceux qui afiiftent à cette
iîngerie, & qui conduifent cette
image, en font recompenfésparles
fpeftateurs, qui leur donnent de
certaines petites pieces d'argent de
peu de valeur : à la vérité , il s'en
trotlve qui font plus libéraux. Au
reite, on prêche publiquement dans
les rues, pendant ce tems-là , foir
& matin, &: fur tout dans les carrefours,
& autres lieux les plus fréquentez,
qu'on a foin de tendre de
tapiflerie , & de couvrir de tapis.
On orne auili les murailles de boucliers
& d'autres armes, & les chaifes
où montentlespredicateursfont
élevées de cinq à fix marches. Ils
tiennent quelques papiers écrits à
la main, fur lefquelsilsjettentfouvent
les yeux, en faifant l'éloge, &
en racontant les aftions & les merveilles
du Saint. Un fécond prédicateur,
qui eil placé quelques dégrés
au-deffous du premier, entonne
à fon tour, les louanges de Hilffem^
en chantant à haute voix. Les
endroits où fe font ces difcours font
remplis de fieges 8c de bancs. J'eus
la curiofité de m'y rendre avec quelques
amis, 6c on ne nous eut pas
plutôt apperçus qu'on nous fit donner
des fieges, à la confideration
denotreDirefteurqui étoitfortefiimé
à Iffahm. J'y reftai une bonne 6. Mil;
demi-heure , Se obfervai que tous
les auditeurs fondoient en larmes,
attendris par l'éloquence de leurs
Dodeurs. On avoit placé au coin
de la muraille , du lieu où nous étions,
une grande figure aifez contrefaite,
remplie de paille , reprefentant
le meurtrier de Huffein, nommé
Omaer , qu'on fit brûler fur le
foir, en plufieurs endroits de la ville.
Ces predications ou difcoursl
à , fe font aiiili pendant la nuit en
plufieurs grandes places, fur de
grands theatres érigez pour cela,
avec des latis, fur lefquels on place
plus de looo. lampes, mais avec
fi peu d'addrefie & de circonfpection,
que le vent en éteint la meilleure
partie. Au refl:e le nombre
des fpeftateurs efl inexprimable.
Nous celebrânies k fête de laP»feie
Pentecôte le dimanche fuivant chez gaiçoni,
notre Direfteur. Il s'y rendit deux
bandes de jeunes garçons, de hauteur
à peu près égale, & très-proprement
vêtus pour danfer felon la
coutume. Ils tenoient de certains
petits bâtons, qu'ils frapoient l'un
contre l'autre en danfant , & ils étoient
accompagnez de deux ou
trois hommes de leur quartier, qui
chantoient. Ces danfeurs fe paffoient
continuellement les bras par
deflus la tête avec une célérité inexprimable
, & des attitudes & des
mouvemens charmans. Ceux-ci dévoient
être fuivis d'une plus grande
bande; mais elle rencontra en
chemin celle d'un autre quartier,
qui l'attaqua, &: l'arrêta fi longtems
qu'elle ne put s'y rendre -,
outre qu'elle devoir aufli aller à la
Cour ce foir-là.
Mais,pour retourner à notre fuj
e t , la principale folemnité de ce
deuil ou de cette pompe ftmebre,
fut une grande procelîïon, qui fe
fit le lendemain. Je me rendis pour
la voir, dans une boutique du Bazar
, devant laquelle elle devoir
paifer.
Cette ProceiTion fut précédée Grandi
de quelques archers à cheval, du
iicre-
D E C O R N E I L
, fuivis de chanteurs, te-
" +'nant châcun un cierge à la mam,
& couverts d'une velte viólete ou
noire, convenable à cette folemnité
& aux lamentations qu'ils faifoient.
Il y en avoit ausfi plufieurs
•àdeminuds, & d'autres qui portoient
un grand étendard noir roule.
Il parut après eux trois chameaux,
fur le premier defquels il
y avoit deux garçons prefquenuds;
trois fur le fécond , l'un derriere
l'autre,& fur le 3. l'image couver
te d'une femme,avec un petit gar
çon. Puis cinq autres chameaux.
fur chacun defquels il y avoit 7. à
8. petits garçons, ausfi prefque nuds
dans des cages de latis, & deux drapeaux
après eux. Enfuite, un chariot
avec un cercueil ouvert contenant
un corps mort s fuivi d'un autre
couvert de blanc & de quelques
chanteurs. On vit paroitre après
cela, un chariot chargé d'encens avec
deux perfonnes , & quatre petits
garçons , tenant châcun un livre
à la main, & aiant une table devant
eux. Ce chariot étoit entouré
de plufieurs machines , qui reffembloient
L E LE B R U N. 219
ire, non-obflant que nous en cou- 1704.
lullions tout le ridicule , & toute 6, Mai.
la forfanterie. ,Ce chariot fut fuivi
de plufieurs jeunes gens les uns ga-.
rottés, les autres les mains libres,
xompagnez de gardes , armés de
bâtons, dont ils les menaçoient de
tems en tems, fur quoi ils fe courboient
à des lampes étamées, &
étoit fuivi d'un grand étendard roulé,
& de douze foldats armez, l'armeten
têtej & ceux-cidedeuxpetits
garçons plaifamment habillez,
& ornez de plumes & de fonnetes.
Puis, un cheval monté par un jeune
prifonnier , fuivi de 16. autres
enchaînés l'un après l'autre , & de
cinq garottez. Après ceux-ci, parut
un chariot couvert de fable, d'où
fortoient 6. têtes couvertes de fang,
dont les corps ne paroifibient pas,
de maniere qu'on auroit dit qu'elles
étoient coupées. Ilyavoitdeux
perfonnes habillées fur ce chariot,
lequel étoit fuivi de celui qui portoit
le corps àiHuJfdn, reprefenté
par un homme armé, tenant un fabre
à la main. Il étoit tout couvert
de fang, pour animer d'autant
plus la douleur & le deuil des affiftans,
dont les gemiffemens & les
lamentations étoient inexprimables.
Auffi, faut-il avouer qu'on ne fauroit
rien voir de plus touchant que
ce fpeftacle , dont n o u s ne pfimes
& baiffoient la tête le plus
naturellement du monde. Ceux-ci
étoient fuivis d'un grand chariot,
tiré par des hommes , comme les
autres , auffi couvert de fable enfanglanté,
fur lequel on voyoit deux
corps morts, & quatre autres, dont
il ne paroiffoit que les têtes. Six
jeunes tourterelles alloient &: venoient
dans ce chariot, après lequel
il en parut un autre, d'où fortoient
des bras & des jambes , & dans lequel
il y avoit deux cierges allumez.
Puis un troifième , avec 6.
Stes & deux perfonnes habillées,
fuivi d'un autre avec un corps mort
armé, & un malade. Enfuite deux
drapeaux ; un cheval avec la fellc
de côté, accompagné de deux tambours
& de chanteurs j Se un autre
chariot, fur lequel il y avoit deux
cercueils. Se deux petits garçons le
livre à la main, qui les embraffoient
de tems en tems , Se faifoient leur
rôle à merveille. Celui-ci en precedoit
un autre d'une grandeur extraordinaire
, contenant 10. ou 12.
corps morts, dont onnevoioitcjue
les bras Se les jambes enfanglantées,
avec 5. ou 6. prifonniers , fuivis
d'un jeune homme à cheval, percé
de flcches. Se tout couvert de fang,
qui paroiffoit étranger , Se prêt à
tomber de foiblefié. Après lui on
vit paroitre un cercueil couvert de
drap noir , accompagné de chanteurs
& de danfeurs, qui fembloient
le conduire en triomphe ; 6c on portoit
après eux trois lances garnies
de pierreries. Enfuite un cheval
chargé d'arcs Se de fléchés, d'un turban
& d'un grand étendard. Puis ,
:inq autres chevaux chargez de boucliers
, d'arcs & de fléchés ; Se trois
javelots, fur la p.ointe defquels il
paroifi'oit une main. Enfin, cette
proceffion étoit fermée par un cheval
richement enharnaché , fur le-
E e î quel