V O Y A G E S
quel il y avoit 3. paires de pigeons
6. Mai. mais ce cheval n'ecoïc pas en Ion
lieu.
Esplica« ^près avoir vù tout cerpedaclej
tcieotnte(3 rero - un , Ecclef,i.a ftiqu,e eut nlva bont,é, de
ceffion. m'en expliquer le myltere. 11 me
d i t , que les 13. tourterelles quej'avois
vues fur un des chariots , reprefenroient
celles qui avoient pa-
-ru fur le corps de ii?///«» lors qu'il •
f u t t u é ; & que ces tourterelles teintes
de fon fang s'étoient envolées à
Mtàine , où demeuroit la fccur de
ce baint, laquelle apprit fa mort en
les voyant, comme elle Ta voit prédit
auparavant. Que le chariot &
les deux cercueils, accompagnés de
deux petits garçons, tenant chacun
un livre à la main , reprefentoienc
les deux fils de Hujfein, AU-Jsker
Se h-Ekber, qu'on prétend qui furent
tuez à coups de fléchés. Qiie
le jeune homme percé de fléchés
marquoit aufli Ali-Ekber. Que le
cercueil couvert de noir étoit celui
de Hujfein 5 6c que le chariot avec
les 6 têtes, auprès defquelles il y avoic
deux perfonnes habillées , reprefentoit
fes enfans. Quelamain
d'acier fixée fur la pointe des javel
o t s , étoic le lignai de guerre, que
les partifans des PerfesMahometans,
portoient autrefois fur leurs étendartS}
& que les cinq doigts de cette
main reprefentoient Mahomet ,
J î i , Fatma , fille de Mahomet &
f e m m c à ' J l h H a f an S^Hufem. De
f o r t e , que tout ce qu'on voit dans
cette proceiTion , ne fert que pour
reprefenter Hnjfem & fes 72. amis,
tués avec l u i , & eftimés martyrs
par les Per fes.
I l eÎt furprenant au dernier
p o i n t , que les perfonnes, dont les
t ê t e s , les bras & les jambes paroiffoient
fur les chariots , pûiTent fe
contenir fans faire aucun mouvement,
pendant toute la journée, que
dura cette procesfion. La plupart
d e ces têtes avoient même de longues
barbes , Se le col en étoit tellement
ferré, qu'elles en paroiflbient
feparées, outre que les yeux n'en
forraoient prefque aucun mouvement.
Mais j'appris qu'on leurfaifoic
avaler en cette occafion, un certain
breuvage qui leur ôtoitlacon- 7704.
noiilance, & les privoit de mouve- 6.'Mai.
ment pendant ce tems-là. Au rcile,
on ne pouvoits'y tromper,puisque
j e diftinguai d'abord la feule tête de
cire, qui fe trouva parmi les autres.
Auili, faut-il avouer, que les Per^
fes font fort habiles en ces fortes de
reprefentations-là.
Le lendemain, nous nous rendîmes,
à la pointe du jour au même
endroit,pour voir la fuite de cette
folemnitej mais le Koi ne s'y rendit
que deux heures après.
Ce fut une efpece de parade des Parade
quartiers,qui portèrent en proccflion
plufieurs ornemens préparez ville,
pour cela. On vitparoîtred'abord,
comme le jour precedent, les archers
à cheval du Derogn, fuivis
de quelque jeunes gens armés de
bâtons, qui crloicat H^fem, Hnffeiriy
en fautant en chantant. Après
ceux-ci des joueurs d'inftrumens
& quelques tambours, fuivis
de la bourgeoifie des dilferens quartiers
de la ville, dont la premiere
troupe étoit armée de fabres nuds
& de rondaches, les autres de
bâtons parfaitement bien peints. Ils
étoient tous très-proprement vêtus,
avec des veiles de velours, de belles
ceintures, & des turbans extraordinaires
s'avancèrent en bon ordre,
ne différant les uns des autres,
qu'en plus ou moinsdemagnificence.
Lin détachement de ces bourgeois,
à peu près de même condition,
avoit fait faire une jolie machine
ou repofoir,reflemblantaflez
à i m c a r o f l e , orné de miroirs, de
fabres & de poignards, & d'autres
armes garnies d'or & d'argent, chofe
très-agreable à la vue. Il y en avoit
d'autres plus élevés fans impériales,
ouverts en dedans, & plus
ornés de miroirs. Le plus grand &c
le plus confiderable de ces partis
prend les devans. Il y avoit cinq
machines ou repofoirs,de cette nature,
& une CixièmeaxiChiaer-baegj
entre deuxbâtimens. Celui-ci étoit
tout garni ou compofé de glaces de
miroir, en forme d'autel, à deux
portes 3 lefquelles étant ouvertes en
laiiToient paroitrc tous les ornemens.
170+,
D E C O R N E I L L E LE B R U N . 221
I l étoit fort élevé, 6c un predica-j d'autant plus neceiîaires , que les 1704.
Maî' teur y monta lors que le Koi parut , Perfes croient que ceux qui péril- 7- M.
Autre
ProL-cffion.
au bâtiment de fon deuxième jard
i n , qui a une longue gallcrie. Ce
repofoir y refta trois ou quatre jours.
I l etoit de pieces raporcees, qu'on
joignit fur le lieu, parce qu'on n'auroit
pLi le faire palfer tout monté
par les portes de la ville.
Cette belle procellion f u t fuivie
d'une autre, précédée de quelques
étendarts , 6c d'un grand nombre
de chevaux, entre lefquels il y en
avoit dont la tête étoit ornée d'un
grand panache de plumes blanches;
d'autres richement enharnachez, &
chargez de beaux habits, de fabres,
de boucliers, d'arcs, de flèches &
d'autres armes. Il y en avoit même
qui avoient des turbans , de plus
grands panaches, 6c d'autres ornemens.
Ils furent fuivis de chanteurS;
de joueurs d'inftrumens 6c de danfeurs,
portant de certains pavillons
fent en cette occafion vont dire£te- Etrange
ment en paradis. Aufll, ne fait-on
aucune recherche des meurtres qui
fe font en ce tems-là,dont ne manquent
au delîus de la tête en danfant
d'autres portoient des piques ornées
de rubans 6c de toufes. La procef-
_iîon parut enfuite comme le joui
précèdent. Ceux qui la formoient
s'arrêtoient de tems en tems,6cjet
t o i e n t , en c h a n t a n t , de la paille
coupée par deflus leurs t ê t e s , criant
à haute voix Hvffein, Huffein. Il
y en avoit qui tenoient d'une main
un fabre nud , 6c de l'autre une
rondache. Les autres avoient des
bâtons peints 6c bien dorez, de dix
pieds de l o n g , & fembloient ne ref-
1 pirer que le combat. Mais le De-
• roga accompagné de plus de mille
cavaliers prend un foin tout particulier
d'empêcher qu'on n'en vienne
aux mains, en plaçant fes gens
à la t ê t e , au milieu, 6c à la queue
de la procellion. Il en place auiîî
fur le chemin oiî elle doit paflér
6c ne laiiTe avancer les quartiers que
les uns après les autres. En un mot
il n'omet rien pour emp.êcher le
defordre, Ôc les difputes qui pourroient
furvenir à l'égard du rang
dans une marche, où il fe rencon'
tre des chemins étroits, 6c où l'on
place par cette raifon, à de cert:
nés diilances, des Soldats pourv
pas de profiter ceux qui en
veulent à quelqu'un, comme cela
fe pratique en Italie, pendant le
carnaval. Cela fait que les plus prud
e n s , q u i ne font pas obligez defe
trouver à cette proceflîon, ne fortent
guere les derniers jours de cette
folemnité, 6c fur tout les Turcs
Mahometans¡ qui font connus,parce
qu'ils font ennemis de Hufjem,
6c amis du parti <X^Ornaer, que les
Perfes haïflént mortellement. Leur
haine n'eft pas fi grande contre les
autres Nations, ni mêmecontreles
Indiens^ qui font Payens, auxquels
ils ne difent rien. 11 ne lailTe pas
de fe trouver un concours de peuple
inexprimable à cette folemnité,
tant étrangers qu'habitans delà ville.
Tout fe paffa cependant fans
defordre c e t t e ' f o i s , chofe aiTez extraordinaire,
vu l'animofité des partis
oppofez , qui ne s'épargnent
point lors qu'ils fe rencontrent.
J'allai voir le dtx-neuviimeiQCi-
.metiere des Chrétiens,où nousreftàmes
jufques à la pointe du jour,
8c nous rendîmes de là au nouveau Nouveau
Jardin du R o i j qui eft de grande î^rindu
étendue 6c ceint d'une muraille
terre. Nous y trouvâmes lesviviers
fort avancés, 6c un beau plant de
jeunes arbres ; des rofes, 6c des parterres
remplis de fleurs aÛez communes.
Nous a l l â m e s e n f u i t e à j « / -
fa i Ì ÎSl maifon de campagne de
Mr. Sahid , interprete de notre
Compagnie, dont on a deja parlé.
Il nous reçut 6c nous regala parfaitement
bien , quoi que nous fiiffions
au nombre de 40. Les allées
de fon j a r d i n , qui étoient remplies
de chandelles,nous parurent d'une "
beauté charmante. Le lendemain
nous allâmes rendre vifite auxamis
de notre D i r e d e u r , qui devoit partir
le mois fuivanc 6c ne plus retourner
à Julfa. Il y prit congé des
principaux marchands Arméniens,
d'armes à feu. Cesprécautionsfontidu Patriarche,8c de la plupart des
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