I
I 'M I
2IJ V O Y A G ES
eux. Aiofi , quoi qu'animez d'ime'à un tel point, qu'on
I. Mst ambition demefurée, ils le donnent obtenir d'eux qu'en li
le peut rien
r railancdes i. Mai.
la difcipline en préfence du peuple, prcfens. Au refte ils l'ont fort affi
ils s'abaiil'ent pour s'élever
ôcfoi
femblaiit: de méprifer ce qu'ils foi
liaitent avec le plus d'ardeur j de foi
re-qu'on diroit qu'ils n'afpirentqu'à
k felieité du Paradis. Ils attirent:
chez eux un grand nombre de jeunes
gens pour leur en apprendre les
voyes, &r afín de donner une idée
avancageuÎe du zele qui les anime,
ils traitent cette jeuneffe ftupide,
avec une moderation & une patience
toute particulière , ians jamais
s'emporter ¡ avec peu de paroles, accompagnées
d'un air de fageile &
de lainteté dont on eft charmé,
ha- Leurs habits font blancs 8c de poil
de chameau ou de chevre, & ils portent
un grand turban , qui les fait
parokre maigres & défaits. Lors
qu'ils fortent, ils afte£Vent une grande
ñmplicité, & ne fe font accompagner
que d'unfeul valet 5 qui porte
un livre » allant à petits pas les
yeux fixés en terre. Ils frequentenc
beaucoup les mofquées, où ils font
de langues prieres avec un zele affedéi
& fe retirent enfuite dans un.
coin , où ils s'exercent à inftruire
les enfans, outre qu'ils fontfouvent
des oraiibos au peuple. C'eit par
cet artifice qu'ils s'attirent l'affection
Se le refpe£t du peuple, & qu'ils
fe font craindre au Koi même,qu.
n'oferoit rien changer au fervice divin
, de crainte de s'attirer l'indignation
de ces têtes facrées. II s'en
trouve plufieurs exemples, 6conn(
fauroit donner une preuve plus évidente
de la confideration qu'on í
pour eux , que le privilege qu'ils
ont de s'aiTeoir à côté du Roi , à
une petite diftance, dans les aifemblées
R.oyales.
. La maniere de vivre de la Cour
& de la noblefle eft fort differente
de la leur. Les courtifans affeflrent
une civilité toute particulière , &
- • une franchife engageante, mais leur
langue s'accorde rarement avec le
Leur dif- coeur. lls s'abandonnent entiere-
IÎJJI^'^" ment à la fenfiialité & aux plaifirs.
Leurs habits & leurs équipages font
magnifiques, & ils aiment l'argent
Gens
d'épée.
bles Se p^aroiifent fort honnêtes.
mais ils font rampans envers ceux
dont ils attendent quelque chofe,
& haiflént mortellement ceux qui
les traverfent ou afpirentàcequ'ils
iou hai tent j lefquels ils traitent avec
une dureté qui ne tient rien de la,
nature humaine, lors qu'ils ont quelqu'avantage
fur eux. Ils ne negligent
aucune occailon de leur nuire,
& ont l'art de donner une idée defavantageufe
de ce qu'il y a de plus
recommandable en eux. En un mot
ils n'ont point de repos qu'ils ne les
aient ruinez. Au contrau-e ils "flattent
avec excès ceux qui fontfavorifez
de la fortune, 8c dans les grands
emplois , & leur attribuent toutes
les perfedlions dont ils peuvent s'avifer:
mais aufli , ne font-ils pas
plûtôt tombez dans la difgrace,
qu'ils infultent à leur malheur , &
chargent d'oprobres ceux qu'ils avoient
élevez jufques aux nues, pendant
qu'ils étoient dans la faveur.
Il arrive même fouvent en ce casj
que ceux qui leur ont le plus d'obligation
font les premiers aies dechirer.
La maniere d'agir des gens de let-Gens de
très, ou de plume , comme on les'*^""^"'
nomme en ce païs-là, eitàpeu près
femblable. Ils font orgueilleux &
fuffifans, eiivieux Se jaloux du mérité
des autres, faifant bonne mine,
& mille careifes à ceux qu'ils haïffent
le plus, lors qu'ils les rencontrent
, les dechirent impitoyablement
auffi-tôt qu'ils ont le dos
tourné. La diiTimulation eft leurLeur difvice
favori , & leur vanité s'étendjij^"^^'-
jufques à fe louer eux-mêmes à tous
propos, 8c à faire , fans fcrupule,
l'éloge de leur propre mérité. Cependant
ils font religieux en apparence,
affectent de faire paroître
un grand dégoût des vanitez
mondaines, ne parlant quedelafelicité
du Paradis pendant qu'ils s'abandonnent
en fecret aux vices les
plus cnormes,6c même les plus contraires
à la nature. Au refte ils ha'iffent
mortellement les Chrétiens de
'Eu-
1 7 0 4 .
c. Mai.
DE C O R N E I L L E LE B R U N .
VEurope .j èc tous ceux qui different
y
iile droit
Mort di
Roi.
de leur croyance
il aucune,furetépou
des gens ne tenoit fes Infidèles en
bride.
L'ufure règne plus en ce païs-là,
qu'en lieu du monde, bien qu'il s'y
trouve d'honnêtes gens comme par
tout ailleurs. Mais on peut dire en
general que les Perfatis font natu-1704,
rellement ingrats , 6c qu'ils n'ont i. Mai,
ni honte ni modeftie.
La Perfe eft compofée de trois Etat de
ordres, comme les Etats de VEurope.
Le premier comprend la Nobleffe
ou les gens d'épée: le fécond,
les gens de robe 5 & le troifième,
les Marchands Se les Artifans.
C H A P I T R E XLIL
Enterrement des Rois de Peife. Qualités du Roi regnant. Son
portrait. Hahilkment des Peries.
ON ne publie jamais en Terfz
la mort du Roi, qu'après avoir
placé fon fucceifeurfur le trône.
Cependant le Roi Sulemoen,
pere du Roi qui regne aujourd'hui,
n'eut pas plûtôt rendu l'cfprit que
la nouvelle s'en repandit de tous
côtés par l'indifcretion de fon pre-
^ mier Medecin. Ce Prince mourut •
le 29. Juillet 1694 , à l'âge de 48. ;
ans, après en avoir régné 29. Les
officiers de la Couronne, les principaux
Seigneurs du Royaume, fei
faifii-ent immédiatement du Palais,
& mirent bon ordre de tous cotez.
Les habitans fermèrent leurs maifons
& leurs boutiques, Se il ne parut
aucunes perfonnes de confideration
dans les rues. Le premier jour
d'Août, le corps de fa Majefté fut
pofé fur un chariot , couvert d'un
pocle de drap d'or des plus riches,
Se tranfportéàune chapelle, qui eft
à une lieue à'Ifpahan , d'oii il fut
conduit à Com , pour y être inhumé
dans le fépulchre des Rois fes ,
percs. Tous les grands du Royaume
le fuivirent à pied, à la referve
d'un des officiers de la Couronne,
nommé Mierfa Taher , Se d'un Ecclefiaftique
de diftiniftion, auxquels
on permit d'aller à cheval, à caufe
de leur grand âge. Ces Seigneurs
étoient fuivis des gens de robe ou
de plume , pleurant Se chantant, Se
ceux-ci d'un grand nombre de foldats,
qui accompagnèrent le corps
jufques à cette chapelle , avec des
flambeaux fumans fans être alumez.
Lors qu'on y fut arrivé , ceux qui
avoient aififté à cette pompe fúnebre
dechirérent leurs vêtemens, &
s'en retournèrent à la ville,laiflanc
à leur place, de leurs parens ou de
leurs amis pour fuivre le corps pendant
la nuit. On ne manqua pas
auiîî de doubler les gardes du Palais,
pour prévenir les defordres qui
font à craindre en ces occafions-là,
dans une ville fi peuplée Se fi remplie
d'étrangers. Cependant lesofficiers
de la Couronne donnèrent ordre aux
Aftrologues, felon la coutume, de
choifir un moment favorable. Sede
bonne augure , pour le couronnement
du nouveau Roi, perfuadez,
qu'en ce cas, ce Prince n'entreprendroit
rien à leurprejudice,furtout
au commencement de fon regne.
On n'entendit pendant tout ce temslàni
tambours ni trompettes, ni aucun
fon qui pût interrompre la folemnité
du deuil Se de cette adion,
qui dura jufques au 6. Août, que
les Aftrologues déclarèrent unanimement,
qu'ils avoient trouvé cet
heureux inftant. On ne manqua couronpas
d'en profiter pour couronner le n®™«"
fils aîné du Roi défunt, qu'onavoit-veauRoi.
tiré du ferrail immédiatement après
la mort de ce Prince,pour l'enfermer
dans un autre appartement} où
il refta jufques au moment qu'on le
mît fur le trône, où tous les grands
Dd 3 de
f lï