V O Y A G E S
1 d e s miracles de leur Prophète &
I. Mai. des 12. bmns ; ëc de lui inipirer fur
toute choie une haine implacable
contre les Mahometans Tuns, & du
- Mugol, que les Perfes méprifent &
maudiil'ent,croyant faire parlàune
aftion méritoire & rendre un fervice
agréable à Dieu. Mais on ne
prend aucun foin de lui apprendre
l'hiftoire & la politique, ni de lui
infpirer l'amour de la vertu. Au
contraire, pour le fouftraire auxreilexions,
on l'abandonne aux femmes
dès fa plus tendre jeunefle,
& à toutes fortes de fcnfualitez.
Non content de cela, on lui fait
prendre de Voptum , &c boire du
Koekenatr ou de l'eau de pavot, dans
laquelle on met de l'ambre & d'autres
ingrediens qui excitent à la vol
u p t é , & rempliirent,pouruntems,
l'efprit d'idées agréables, & le jetteni
à l a f i n d a n s une mfcnlibilité
abfolué. C'eft ainfi qu'on lui fait
paffer la vie jufques à la mort du
Roi fon p e r e , q u ' o n le tire du Serrai!
ou du Haram pour le placer fur
le trône, qui lui appartient par droit
de fucceiïïon ou par teftament.
E n f u i t e , t o u t e la Cour vient fejetter
à fes pieds & lui donner des marques
de fa foumisfion. SurprS d'abord
d'un fi grand changement il
l'envifage comme un fonge, & s'y
accoutume infcnfiblement. Enfin,
il commence à fe connoitre , &
chacun s'empreffe à lui plaire,, &
à obtenir fes bonnes graces : mais
on ne fonge nullement à lui donner
des confeils falutaires & à lui ouvrir
les yeux. Au contraire on prend
foin de l'entretenir dans une ignorance
dont on veut profiter; & lors
que VJttemaed Boulet, qui efl: fon
premier Miniftre, a quelque grace
à lui demander, qu'il ne manque
jamais de couvrir du pretexte du
bien public, il prend fon tems lors
q u ' i l efl de bonne humeur & la pipe
à-la main, & ne manque guere
d'obtenir ce qu'il fouhaite pour lui
ou pour fes amis, en fe nommant
fon Corbaen oufaviftime. Mais lors
qu'il s'agit du bien de l ' E t a t , ou
d'une affaire qui demande de l'application,
il eft fourd Scneveutpas
l'écouter, & tourne fes penfées fur ,704.
des chofes agréables & conformes à i. Maù
fon humeur. Ausfi, ce Miniftrene
s'en apperçoit-il pas plûtôt qu'il
change de difcours, 8c fait apporter
des mets dclicieux. Enfuite il
fait venir des mulkiens & desdanléufcs,
qu'on entretient tout exprès
à la Cour. On fait faire des combats
de taureaux & de beliers &
enfin on donne à ce Prince tous les
divertillémens dont on fe peutavifer.
11 voit tous ces combats & plufieurs
autres exercices du haut du
Tdad de la porte à'Âh-hpie, qui
donne fur la grande place du Palais,
& cela plaît bien plus à ce jeune
Prince fans experience, que de s'appliquer
auxaffairesdefonEtat. Enfin,
lors qu'il eft las de ces divertiil'emens
là,il en va chercher d'autres
au SerrailiSc les affaires qu'on
lui avoir propofécs font n
une autre fois. D e f o r t e qu
mier Miniftre eft obligé de fe
dfes à
epredre
deux fois par jour à la porte de
l'appartement de fa Majefté pour
tâcher, de trouver une occafion favorable
de la remettre fur le même
f u j e t , ou plutôt d'y faire tomber
ce Prince adroitement, & comme
fans d j f f e i n , lors qu'il eft de bonne
humeur. S'il en agiffoit autrement
, & qu'il lui vînt rompre la
tête de but en blanc, il s'expoferoit
à fon indignation, quand même
ce feroit pour une chofe dont
dépendroit le falut de l'Etat. Il ne
manque auílí guere d'accompagner
ce Monarque à la promenade, où il
a quelquefois le bonheur de le trouver
difpofé à écouter ce qu'il a à
lui dire. Au reftelavoluptévatoujours
fon train, & on fait chercher
les plus belles filles de la Gnrpe
6c de VÂrmenie pour les conduire
au Serrad. Lors même que le Roi
va à la chaire il fait mettre tousles
hommes hors de leurs maifons,
quelques lieues à la ronde, pour
• le plaifir de chaffer, & d'ali
la pêche, ou de prendre d'à
:res divertiffemens avec leurs femmes.
Le Roi qui regne aujourd'hui
s'eft auffi addonné au vin depuis
qu'il cft fur le trône ; Se paffefou-
D E C O R N E I L L E LE B R U N .
i 7 0 4 ,
I , Mai.
•s&des I itieres à
Princes
inécs de
n égard
propre
Delirin.
ratinblc
des rcchcires.
vent des y
boire. Voila comment c
lii paffenc les premieres
leur regne, fans avoir au
au faliit de l'Etat ni à 1.
gloire. Les grands de la G
manquent pas aulïï de fe prévaloir
de t e tems l à , & de fe rendre neceffaires
pour s'enrichir & procurer
des emplois à leurs parens & amis.
Les Gouverneurs des provinces fuivent
leur exemple & font leurs bourfes
par toutes fortes de rapines &
d'exactions, fans épargner même
lus de la Couronne; & ils
mpunéinent, en faifant part
les I
l e f t
fait choix d
arrêter le co
licence. Ak
les yeux fel
de gcnie r
dan;
traii
fin,
4 0 .
degi
rincipale étude eft de chercha
7°i:
de leurs voleries aux Seigneurs qi
font dans la faveur & qui ont l'oreill
du Roi. Ces defordres-là conti
n u e n t j u f q u e s à c e q u e c e P r i n c e a i
• •• Miniftrecapabled'e
;, & de reprimer cette
il commence à ouvrir
qu'il a plus ou moins
cnie ; mais il retombe fouvent
fes débauches & fe laiffe en-
. c r à f o n penchant naturel. Enlors
qu'il parvient à fa 35. ou
annee, fes efprits femblent fe
ger peu à peu de lamatiere;!!
commence à faire des reflexions; à
fonger aux affaires de l ' E t a t , & à les
comprendre, à proportion des lumières
qu'il a reçues de la nature.
I l s'applique enfuite àremedieraux
defordres, qui ont régné pendant
fajeimeffe, & à pourvoir aux neceffités
de ce grand Royaume.
Mais il s'en avife ordinairement
trop t a r d ; la mort prévient fes bonnes
intentions , & replonge l'Etat
dans fa premiere mifere.
Le premier Miniftre de ce puiffant
Empire e f t , comme on l a déjà
d i t , VJttemaed-Doiikt, c'eft-à-dir
e , le foutien, ou diredeurdeVEt
a t , qu'on nomme,aufli;^//ir-^zfOT,
ou grand porte-faix de'l'Empire
dont il foutient prefque tout le fardeau.
Ce.Minift-re, qui eft accablt
d'affaires,eft expofé de plus à mille
fâcheux contretems, outre qu'il
doit être continuellement fur fes
gardes,de crainte qu'on ne le fup.
plante ou qu'on ne le mette mal
dans l'efprit defonmaitre. Auffif;
plaire, pour s'aifurer l'empire i. M;
de fon e f p n t , & d'éviter tout ce qui
pourroit lui donner du chagrin ou
de l'ombrage. Dans cette vue il ne
manque pas de le flatter ; de l'élever
au deffus de tous les Princes dit
monde, & de couvrir d'un voile
épais tout ce qui pourroit fervir à
lui desliller les yeux, & à lui découvrir
la foibleffe de fon Etat. Il
prend même un foin tout particulier
de l'entretenir dans fon ignorance,
& de lui cacher,ou d'adoucir;
routes les nouvelles defavantageufesj
& fur tout d'exalter les moindres
avantages qu'il remporte fur
fes ennemis. C'eft par cette politique
que ce Miniftre trouve le moyen
d'aggrandir fa maifon, & d'élever
fes amis aux premieres charges de
l'Etat. Ausfi ne manque-t-il jamaié
de pretexte pour ruiner les uns &
avancer les autres; & cela lui elÎ
d'autant plus facile, q u e tous ceux;
qui font dans les emplois font coupables
de grandes malverfations. Il
a ausfi mille occafions de favorifer
ceux qui font dans fes i n t é r ê t s , &c
qui lui font part de leurs rapines ;
& de leur envoyer des Robes Royales
par lesofficiers de fa m a i f o n , q u i
en tirent des recompenfes, qui leur
fervent de gages. Les Gouverneurs
des provinces & des villes briguent
fous main, ces préfens ou ces honfoi
: craindre de ce
iffe
, pour 1=
¡'ilsgouverplaindredc
Is les voient
r obtenir de
é maniéré,
n ? f ?
squ':
:rpov
z dans la favei
ces Robes-là. D<
VJttcmaed-Vottlet eft d,
ration perperuelle, pou
avancer les uns & détr
truire les aunimé
tres; felon qu'il eft ani
p a r l ' a f -
f e a i o n ou parla hait
il n'a jamais l'efprit
me on vient de le d.
s'affurer de la fidelit
ceux qu'il favorife le plus étant fouvent
, Cependant;
n repos, com-
: , n e pouvant
de perfoi
les premiers à contribuer à fa
p e r t e , i o r s qu'ils trouvent fa fortune
ébranlée. L'ingratitude & l ' i n - , ,
fidélité font auffi tellement en ufa- ¡"J'
ge en ce pa'is là, que les enfaijs nef'»»-
font
rIV
i l 1