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V O Y A G E S
vint que le lendemain , & lui ap-
15. Mirs. p r i t , qu'on ne trouvoit aucun fourage
à deux journées delà , les flames
aiant tout détruit, &: que même
dans les lieux qu'elle avoir épargnez,
il n'y en avoit pas- la moitié
de ce qu'il en falloic pour repaitre
un II grand nombre de chameaux
¿c de chevaux , chofe fort mortifiante
pour toute la Caravane.
Embaras 11 propofa fur cela de repaiTer la
uùiwe la ^^ Keylan , oii la flame s'é-
Caiava- toit arrêtée, & au-delà de laquelle
on trouveroit de l'herbe ; mais on
n'ofa le faire, de crainte des 'Tartares
, qui étoient de cc côté-là, &
on aima mieux s'expofer à une marche
de deux jours , dépourvû de
toute chofe , que de courir rifque
de tomber entre les mains de ces barbares.
La Caravane fe mit en chemin j à
la pointe du jour, & s'arrêta à Tentree
de la nuit à côté d'un grand
marécage, après avoir fouffert beaucoup
de mifere, 6: avoir perdu dans
les marais 18. chameaux &: 22. chevaux.
Cela étoit d'autant plus fâcheux
, que ceux qui reftoient étoient
accablés du fardeau des mar
chandifes & des harnois de ceux
qui avoient fuccombé, les mar
chands ne pouvant fe refoudre aies
laiifer en chemin.
Mirere Le lendemain ilstraverférentcnexpofte^
core plufieurs vallées marécageufes
& des montagnes élevées , &
parvinrent enfinàlariviereàtMargeen^
oii l'herbe n'avoit pas étébrûlée.
Après l'avoir traverfée , ils
pourfuivirent leur chemin avec
beaucoup de peine & de difficulté,
leurs chameaux, qui n'en pouvoient
plus , diminuant à mefure qu'on
s'avançoit, la foibleiTe oii ils étoient
ne leur permettant pas de fuivrele
refte de la Caravane: & pour furcroit
d'accablement les provifions
diminuoient à vùë d'oeilj&neconliftoient
plus qu'en un certain nombre
de boeufs maigres, qui ne fui- j^ç)^.
voient qu'à peine, & qui ne pou-18. Mar
voient fuffire pour un li grand nombre
de perfonneSi d'autant qu'on
ne fe charge guere de pain 6c d'autres
proviiions, parce que les marchands
ont befom de leurs bêtes
pour le tranfport de leurs marchandifes.
Se qu'il leur coûteroit trop
d'employer des chameaux pour celui
de leur nourriture.
Tout cela bien confidéré & qu'il
falloir encore 10. ou 12, jours pour
parvenir à Argitm^ fur les frontières,
on commença à fonger à ménager
les provifions qui reftoient,
6c à faire le calcul de celles que
chaque troupe en pouvoir avoir,
pour en faire une jufte diftribution.
Ils parvinrent enfin, le àix-huitieme
de ce mois, après bien des
traverfes , & des difficultez prefqu'infurmontables
, à la riviere de
Gan^ qu'ils traverférent, les eaux
en étant fort baiTes, & trouvèrent
de bonne herbe de l'autre côté. Monfieur
l'Envoyé refolutde s'y arrêter
trois jours pour fe remettre, & y
feroit même refté plus long-tems,
ii les marchands,les Cofaqim
eondufteurs de la Caravane qui
commençoient à manquer de t o u t,
ne lui euifent reprefenté le trifte état
où ils étoient réduits en lui difant,
qu'ils étoient obligez de faire
bouillir le fang des boeufs qu'ils
tuoient, pour en faire une efpece de
foie, qui leur fervoit au lieu de pain ;
que d'autres prenoient les peaux de
ces animaux 6c les coupoient, après
en avoir ôtélepoil,&lesgrilloient
pour leur fubfiftance: Enfin, qu'il
s'en trouvoit même quifefervoient
de leurs entrailles, & qu'on feroit
réduit à la fin à TaiFreufe neceiïité
d'imiter les Caffres & les Hottentots,
en mangeant de la chair crue, avec
les excremens.
C H A -
D E C O R N E I L L E L E ^ B R U N. 1,31
1694..
18. Mars.
C H A P I T R E XXVII.
Arrivée a Nerfinskoi. Depart de cette ville. Arrivée i
T o b o l , ér enfuite a Mofcou.
1694.^
18. Mais,
• Onfieur l'Envoyé aiant appris
que les environs de la
Chaffe fo- rivicre de G an abondoient en c erfs
èctn. rennes, détacha quelques perfonnes
de fa f a i t e , q u i tiroientbien
de l'arc, pour en faire provifion.
Ils eurent le bonheur de revenir
chargez de 50. rennes t, que ce Miniftre
fit diftribuer à la Caravane,
qui penfa les devorer fans attendre
qu'ils fûiTent apprêtez , tant elle
étoit preffée de la famine jauili n'y
a-t-il rien de fi affreux que la faim,
ni de comparable auplaifird'y fubvenir,
fi ce n'eft celui d'étancherla
foif.
,pn en- Cependant, ce Miniftrenelaiffa
chercher P^^ d'envoyer un gentilhomme, acdes
pro- compagné de huit Cofaques i au Gouyiûons.
yernem- ^ ' J r g u m , pour lui apprendre
le trifte état, où il étoit réduit,
& le prier de lui envoyer les provisions
s dont il avoit befoin. Çe.Gouverneur
ne manqua pas de le faire ^
mais il fallut du tems pour cela, &
les moniens étoientprecieux,6cparoiifoient
des années à des gens qu.
mouroient de faim.
Famine Sur ces entrefaites, il refolut de
gjjppor- quiter les bords du GiîB,&d'avan
® eer autant qu'il feroit poilible. Mais
au bout de trois jours, il fe trouva
plus prefTé que jamais delafamine.
les rennes n'aiantpufubvenirfilong
tems à un fi grand nombre de perfonnes,
dans un defert aftreux 011
l'on ne trouvoit rien. Cependantil
fallut faire de neceflité vertu, 6c
fouffrir patiemment un mal auquel
on ne pouvoit apporter deremede.
Ils arrivèrent enfin, accablez de fatigue
6c de faim, à une petite riviere,
qui for toit des montagnes,
& qui abondoit en truites 6c en bro^
chers, qu'on tire en ce païs-là i
Pêche fa- coups de fleche. Les Cofaques 6c
vorable. les Tmgiifes, qui étoient à la fuite
de Monfieur l'Envoyé, en prirent
une grande quantité , qui fervit,
avec quelques rennes , qu'on prit
fur le f o i r , à fubvenir aux befoins
les plus preiTans de la Caravane.
Ceux qu'on avoit envoyez à la
chaiTe dans les montagnes, y trouvèrent
\mShaiman ou magicien, qui
étoit oiicle du guide de Monfieur Shaimari.
l'Envoyé 6c Timgufe , nation où il cîin^^®^"
fe trouve plufieurs de ces magicienslà.
Ce Seigneurfutéveilléàminuit
par un grand cri, qui le fit fortir
de fa tente, pour demander aux fentinelles,
qui la gardoient d'où cela
procedoit. Ils lui répondirent que
ç'étoit fon guide, qui fe divertiffoit
avec le ShamanÎononclp. Cela
lui donna la curiofité de fe rendre
à fa cabane 3 accompagné d'une
des fentinelles. Etant arrivé à là
poyte i l trouva ce Shaiman 6c fon.
guide occupez à la magie, 6c bien
qu'ils eûflent prefque achevé leur
myftere diabolique lors qu'il arriva,
il obferva que ce Shaiman tenoiç
une fleche, dont le gros bout étoit
appuyé contre terre, 6c la pointe
lui donnoit contre le bout du nez;
Ce ma,gicien fe leva un moment après,
s'écriant à haute voix,6c fautant
plufieurs fois en rond, enfuite
de quoi il s'endormit. Le lendemain,
les Cofaques ceMiniftre
avoit envoyé chercher des provifions
revimrent, &• lui dirent que
ce Shaiman étoit venu à la rencontre
de fon neveu, 6c l'avoit enlevé
à leurs yeux} chofeaiTez facile darfs
l'obfcuritë de la nuit, entre des
montagnes, fans le fecours de la magie.
Ils lui apprirent enmêmetems
l'agreable nouvelle, qu'on recevroit,
au bout de trois jours,,les provifions
qu'on avoit mandées à! Argiirn, nouvelle
qui redonna la vie à la Cara-
R î variey
I