rotté et jeté en prison par l’ordre du roi. Cette nouvelle
fait le sujet de toutes les conversations et a produit
une vive impression sur les naturels, comme sur
nos matelots. Je comprends que le brave M. Thomas
n’a pas perdu de temps, et tient fort à se débarrasser
de cet homme. Dès-lors, je soupçonne aussi qu’il
y a là-dessous quelque raison autre que celle qui a été
mise en avant. Du reste, Simonet a commis en 1827
une faute très-grave, et quelque tardive que soit la
punition, elle est méritée*.
J’envoie, dès le matin, le grand canot aux ordres
des missionnaires et du couple royal, il rentre vers
neuf heures du matin en amenant Tahofa et sa femme
qui se présentent à bord avec leur costume national ;
c’est une vaste natte polynésienne de couleurs variées,
qui forme une magnifique draperie autour de leur
corps, et leur donne un air bien plus noble et plus
distingué que s’ils avaient leurs membres resserrés
dans nos habits à l’européenne dont l’usage est de
fait très-gênant. L’un et l’autre ont un maintien
tout-à-fait décent, et digne de leur rang.
Je donne d’abord aux deux chefs un fusil à deux
coups, des étoffes de France et plusieurs objets, tels
que couteaux, ciseaux et autres bagatelles dont ils
paraissent très-satisfaits. Puis nous nous mettons à
table, et Leurs Majestés sauvages font honneur au repas.
Tahofa et Loubé y paraissent à leur aise tout en
* Voir le premier voyage exécuté sur la corvette l' Astrolabe,
commandée par M. Dumont d’Urville.
se conduisant avec beaucoup de convenance. Habitués
aux manières anglaises, ils saluent toutes les fois
qu’ils boivent, et donnent leurs assiettes et leurs couverts
à changer avec beaucoup d’aisance. Je remarque
encore avec satisfaction que les deux missionnaires
et surtout M. Thomas, s’occupent beaucoup des deux
chefs et leur témoignent une grande déférence. Cette
conduite de leur part est sage et habile, car ils assurent
leur propre crédit en donnant les premiers
l’exemple du respect à l’autorité temporelle.
Après le déjeuner, nos convives parcourent avec
un vif intérêt l’atlas du premier voyage de Y Astrolabe
et ils reconnaissent avec joie les localités de l’île Tonga-
Tabou et même les portraits des naturels de ces îles
qui s’y trouvent reproduits. Enfin, à midi et demi Tahofa
et sa femme me font leurs adieux et quittent le
bord avec les missionnaires. Je rappelle à ces derniers
que j’appareillerai demain de bonne heure, et je les
prie instamment de ne pas se faire attendre, si je dois
les emmener.
Vers trois heures, quatre vigoureux gaillards conduits
par Seteleki-Afou, principal officier du roi, m’amènent
Simonet enchaîné et parfaitement .garotté.
Celui-ci honteux et confus devant moi, qui ne pouvais
point avoir oublié quelle avait été la conduite de
cet homme, lorsque je dus l’abandonner au milieu
des naturels de Tonga-Tabou en 1827, se hâte de me
faire un conte pour m’expliquer sa conduite à cette
époque et se justifier à mes yeux; suivant lui il aurait
été violenté par les naturels pour rester sur l’île
183S. .
Octobre.