Pendant ce temps, tout était en émoi à terre ; la-reine avait arboré
son pavillon que lui avait donné M. le baron Thierry, et
qui se compose de quatre carreaux, deux rouges opposés à deux
blancs, et plusieurs troupes de sauvages étaient partis à la découverte
; nous suivions avec la longue vue tous leurs mouvements
avec anxiété. Tantôt nous voyions sur les crêtes des moutagnes
•leurs noires silhouettes découpées sur le ciel, puis ils disparaissaient
dans quelques gorges pour reparaître sur les sommets les
plus aigus. Cependant les préparatifs se faisaient à bord, chacun
s’armait et prenait ses dispositions, lorsque l’élève de première
«lasse, Lafond, dont la longue vue était dirigée sur un pont de
la montagne, s’écria : voilà Le Guillou. Tout le monde voulut
aussitôt s’assurer du fait, et nous reconnûmes facilement le docteur
au grotesque chapeau et au costume plus que bizarre, dont il
avait coutume de s’affubler.
Le dieu d’un Nouka-hivien est une petite figure de bois ou d’os,
grossièrement sculptée, espècede fétiche qu’il appelle son atoua,
et qu’il représente sur le manche de son éventail, sur l’avant de
sa pirogue et dont il orne ses armes, etc. Du reste, il ne paraît
pas y tenir beaucoup puisqu’il l’échange contre la première bagatelle
qui flatte ses yeux.
(il/. Jacquinot.')
N o ie 2 , page 3 4 .
Ces beautés océaniennes sont bien loin d’attacher à leurs relations
avec l’homme la moindre idée de pudeur ou de chasteté.
Je doute même que ces mots aient leurs équivalent dans le langage
des insulaires. S’unir à l’homme par amour, par besoin, par intérêt
sont à leurs yeux des actes sans conséquence, puisqu’une fille
est maîtresse de son corps. Elle peut donc se livrer à qui lui
plaît, même à un étranger, quand et où bon lui semble, sans que
personne ait le droit de s’en offenser.
Seulement, si elle trafique de ses charmes avec un étranger,
les parents ne manquent pas de prélever quelque chose sur les
bénéfices. La femme n’étant donc estimée chez les sauvages qu’en
raison des petits profits qu’elle procure étant fille et des passions
qu’elle sait éteindre et rallumer tour-à-tour lorsqu’elle est
devenue femme, il en résulte que dans ce pays de damnation , la
femme se conduit comme si elle eût été crée et mise au monde
pour le péché. Moins délicate dans ses moyens de séduction que
ne le sont nos Européennes à qui il suffit souvent d’une oeillade,
elle va droit au b ut, et se présente à vous la gorge au vent, en
vous disant : Me voilà ! prenez mon corps, je suis jeune, je suis
fraîche, tâtez ce sein , jugez de mon savoir. Et aussitôt commencent
les gestes, les convulsions qui vous convainquent que la
jeune fille a été parfaitement élevée ; car telle est l’éducation du
pays. Qu’on juge donc d’après cela, des scènes qui devaient se
passer à bord de nos corvettes avec un pareil entourage! Les filles
désolées de n’avoir pu envahir d’emblée le pont du navire, voulurent
donner un assaut général au gaillard-d’avant. Mais leurs
efforts réunis ne purent triompher des filets qui, dans cette partie)
s’élevaient à une bonne hauteur, ni de la résistance de nos gens
qui s’emparaient des mains de ces belles assaillantes, et calmaient
pour un instant l’ardeur dont elles étaient animées. Dans ce combat
corps à corps, plus d’un brave guerrier fut atteint; les traits
de nos ennemies frappèrent indistinctement les jeunes et les vieux.
On convint cependant d’un armistice, pendant lequel les femmes
se contentèi’ent de nous provoquer de la manière la moins équivoque.
Quelques-unes furent même assez hardies pour porter la
main sur les sentinelles et autres personnes qui cherchaient à les
contenir. Ces attouchements imprévus et significatifs provoquèrent
des éclats de rire universels ; saint Antoine n’eût pas résisté
à de pareilles séductions......
Un coup de canon tiré à six heures du soir par l'Astrolabe, annonça
aux indigènes que le tabou mis sur les deux corvettes était
IV. 18