levé et que les femmes pouvaient monter à bord. Les hommes durent
au contraire s’éloigner avec leurs pirogues et ne reparaître
que le lendemain. A ce signal si longtemps attendu, les filets d’abordage
s’abaissèrent pour garantir nos navires de toute surprise
nocturne. Il est inutile de rappeler les scènes qui furent enveloppées
des ombres de la nuit. Cette suspension momentanée de toutes
nos contraintes religieuses ou sociales , ce mélange de l’homme
et de la femme dans l’état de nature le plus complet, cette véritable
saturnale ne porta aucune atteinte à l’ordre établi à bord. Les
femmes réunies sur le pont jusqu’à dix heures du soir, exécutèrent
des danses accompagnées de chan ts très-monotones. Mais les
mouvements , les gestes , la cadence ne manquaient pas d’expression.
Je fus d’abord scandalisé de voir des petites filles, des enfants,
prendre part à ces jeux, à cette pantomime lascive. Mais j’appris
que ces enfants accompagnaient leurs soeurs dans leurs excursions
amoureuses, pour être initiées de bonne heure dans les
rapports avec l’homme. Ces enfants, sous la surveillance de leurs
aînées, ne pouvaient devancer le temps fixé par la nature; mais
elles figuraient là pour faire leur éducation première. O moeurs
de Nouka-Hiva !... Quel est le missionpaire, quel est l’homme de
Dieu qui osera entreprendre la tâche de renverser un culte aussi
abominable?
L’exemple du ministre anglican Harris est bien fait pour dégoûter
les âmes les plus ferventes. Ce malheureux Harris, débarqué
en 1797 sur l’île Tao-Wati, afin de convertir les idolâtres, fut
bien accueilli par le chef qui ne crut mieux pouvoir lui témoigner
sa considération qu’en lui cédant sa femme pour la nuit. Qu’on
juge de 1 étonnement du pudique ministre. Recommandant son
âme à Dieu, il résiste à toutes les avances de la femme et s’endort.
Mais celle-ci ne pouvant s’expliquer un pareil refus, consulte les
voisines qui décident que le ministre est peut-être privé de la virilité.
Sur-le-champ les commères accourent pour éclaircir ce
mystère, et réveillent le pauvre Harris, qui se croyant accroché
par le démon, devient fou et s’enfuit éploré vers le rivage, où il
est heureusement recueilli par un navire anglais.
Il est a craindre que nos missionnaires n’éprouvent une aussi
triste aventure, à moins que mieux avisés que le ministre anglais
et même que nos missionnaires de Manga-Reva, ils ne se piquen t
point de réformer en un seul jour des moeurs aussi différentes
que les nôtres. Mieux vaut faire la part de l’influence du climat
et des habitudes prises, et n’être pas plus exigeant à l’égard des
peuples enfants de l’Océanie, que Moïse lui même envers les
Hébreux. Les missionnaires anglicans ont jusque ici complètement
échoué dans l’archipel des Marquises ; nous verrons bien si
les apôtres français Seront plus heureux......
A cinq heures du matin , le canon a donné à toute nos belles
le signal du départ. S’arrachant des bras de leurs amants, elles recueillent
les vieilles hardes et les menus objets qu’elles en ont obtenus
et se disposent à quitter le bord. Après quelques moments
d’hésitation a cause de la nuit qui dure encore, et de la crainte
des requins qui entrent, dit-on, dans la baie après le coucher du
soleil, nos syrènes ont^pris la voie la plus courte pour regagner
leurs cases et se sont jetées à l’eau. Le convoi féminin défile lentement
par groupes de 5 ou 6 femmes qui nagent d’une main,
tenant l’autre élevée au-dessus de l’eau pour garantir leur petit
bagage et se livrent à des caquets joyeux, comme si elles étaient
dans leur élément. Peut-être racontent-elles leurs prouesses de
la nuit, ou les tours d’escroquerie qu’elles ont joués. L’une
d’elles avait en effet eu l’heureuse idée de déchirer un des draps
de lit pour s’en faire un maro. Quelques mouchoirs, quelques
cravates furent perdus dans les ténèbres. Mais il faut avouer
que les belles peu exigeantes envers les matelots, se contentaient
souvent de leur plus mince cadeau et même de la modeste chique.
La corvette la Zélée se montra plus galante que nous envers le
sexe qu elle fit reconduire a terre par sa chaloupe. Les nôtres,
piquées de cette distinction, ont déclaré qu’elles ne voulaient plus