Nous revenons paisiblement en traversant le village,
en nous arrêtant souvent devant les cabanes.
Les habitants nous accueillent amicalement, mais
ils oublient rarement de nous demander du tabac.
Nous remarquons que chaque habitation un peu importante
a près d’elle unmoraï, lieu de sépulture pour
ses morts ; on les distingue facilement à des faisceaux
de perches plantées debout et ornées de banderolles
flottantes. Tous ces lieux sont assurément tabous.
Dans cette promenade, je suis encore frappé du nombre
de murailles en ruines qui attestent que ces lieux
dûrent être jadis occupés par une population beaucoup
plus nombreuse que celle qui y est aujourd’hui.
La veille j’avais admis sur nos navires, à leur demande,
un Anglais nommé Alfred, et un Américain
nommé Rodgers ; un troisième vient aujourd’hui me
demander la même faveur, mais je la refuse, désirant
garder une place pour quelque individu qui aura navigué
dans les îles Viti, si l’occasion se présente.
D’ailleurs, je n’accepte ces individus qu’à la condition
expresse qu’ils ne seront payés qu’à Amboine, ils restent
libres de pouvoir débarquer partout ailleurs à
leur choix, mais sans pouvoir prétendre à aucune
solde.
Je venais de rentrer à bord à quatre heures et
demie et je m’étais mis à table pour dîner, quand
je vois entrer dans ma chambre M. Gervaize tout
ému, qui m’annonçe que M. Le Guillou et l’Américain
Hamilton, son guide, viennent d’être assommés dans
la montagne. M. Gervaize n’était pas encore sorti que
M. Dumoutier survient avec une physionomie encore
plus bouleversée, annonçant que l’aifaire s’est passée
chez les Hapas où se trouvaient en effet les deux
promeneurs. La nouvelle, ajoutaient-ils, est déjà
répandue dans la vallée entière qui est tout en
émoi, et la reine vient d’envoyer des émissaires aux
informations.
Je savais avec quelle rapidité les nouvelles les plus
fausses et souvent les plus invraisemblables se répandent
parmi les sauvages, et j’étais loin encore d’être
persuadé. Mais quelques minutes après survient
Moken, que j’avais chargé de faire mes provisions.
Il affirme de nouveau que la nouvelle est authentique
, et que l’événement avait eu lieu chez les
Hapas. Un Américain de ses camarades avait causé
avec M. Le Guillou et son guide sur les deux heures
après-midi, et c’était quelques minutes après qu’ils
avaient dû être mis à mort.
Dès-lors je commence à être sérieusement ébranlé,
et tous les officiers sont convaincus. Plusieurs d’entre
eux même, dans leur indignation, veulent commencer
les hostilités sur - le - champ et descendre en
nombre. Je leur représente qu’une pareille démarche
serait déplacée et peut-être funeste pour nous. Rien
ne prouve jusqu’ici que les Tai-Piis nous soient hostiles,
et dans tous les cas avec toutes ces tribus nous
devions nous conduire comme si elles étaient amies
jusqu'à la preuve du contraire. Quant à attaquer les
Hapas, ce serait une tentative fort imprudente,