que l’on ne pouvait se dispenser d’en demander raison.
J’ajoutais que la reine Pomaré-Vahiné devait
s’estimer fort heureuse de s’être tirée à si bon marché
de la position fâcheuse qu’elle s’était faite à l’égard
de la France.
Ces paroles un peu sévères sont rendues fidèlement
par l’interprète, car je m’aperçois que Pomaré est vivement
affectée, et que des larmes commencent à
s’échapper de ses yeux qu’elle dirige sur moi avec
une expression de colère assez évidente. Au même
instant je m’aperçois aussi que le capitaine Du Petit-
Thouars semble chercher à en atténuer l’effet, en
faisant à Pomaré quelques petites niches amicales,
comme de lui tirer les cheveux doucement ou lui
frapper légèrement la joue; il ajoute même d’un ton
affectueux qu’elle à tort de s’affecter ainsi, etc.
Dès-lors, je termine là un entretien qui était allé
assez loin pour le but que je me proposais, et je me
lève pour me retirer. Machinalement je porte les yeux
sur un amas de fruits de toute espèce, avec quelques
cochons et quelques poules étendus sur le sol de la
cour, quand un chef envoyé par la reine court
après moi, et me fait dire que la reine a donné l’ordre
de porter sur mes navires tous ces objets qui me
sont destinés en présent.
M. Du Petit-Thouars m’apprend alors que déjà
tout ces cadeaux lui ont été offerts à bord même
de son navire; mais qu’il les a refusés, parce que
la reine s’obstine à ne pas vouloir aller le visiter à
bord de sa frégate. En conséquence, je fais dire à
Pomaré que j’accepterai volontiers ses présents à la 183S-
. ï „ r Septembre. condition qu elle viendra nous faire une visite à bord
de la frégate française, mais que jusque-là, je ne
la croirai qu’imparfaitement réconciliée avec les
Français.
Elle me fait répondre aussitôt qu’elle est désormais
l’amie des Français, mais qu’elle ne peut aller
visiter la Vénus, parce qu’elle allaite un petit
enfant qui réclame tout son temps et tous ses soins.
C’est là évidemment une défaite suggérée par Prit-
chard ; mais ne voulant pas tourmenter plus longtemps
cette pauvre femme, je fais semblant de m’en
contenter, et je me retire définitivement.
En sortant de chez Pomaré-Vahiné, je prie M. Moerenhout
de me conduire immédiatement chez M. Prit-
chard. Le palais de celui-ci paraît vaste, com- W- «un.
mode, et ses alentours annoncent à l’instant que
c’est l’habitation du véritable souverain de ces îles.
Le pavillon britannique flotte majestueusement à
l’extrémité d’une immense gaule, étalant à tous les
yeux les prétentions du peuple anglais. M. Pritchard
est un homme de 45 ans environ, il est maigre, sec
et bilieux ; il porte dans ses formes extérieures cet
orgueil et cet air de dignité froide et réservée si naturels
aux Anglais, lorsque la fortune va les chercher
dans les classes les plus infimes pour les élever à un
certain rang. M. Pritchard sort pour nous recevoir
avec toutes les marques de la civilité, mais aussitôt
que j’ai dépassé le seuil de sa porte, je lui dis :
« M. Pritchard, je viens vous rendre ma visite