effet, lorsque le jour së faisant, nous pûmes distinguer
nettement les objets à la côte, j’aperçus clairement
notre embarcation échouée le long de la grève et
nos deux coquins de matelots assis paisiblement auprès
d’elle.
Dès-lors je me décide à envoyer à leur secours le
canot major bien armé, commandé par MM. Marescot
et Gervaize. Grandy s’offre lui-même à les accompagner
comme interprète. Mais à peine a -t-il quitté
la corvette que nous voyons nos matelots à terre
pousser leur embarcation à la mer et se diriger sur
le navire. A six heures et demie tous les canots sont
rentrées, et voici ce qui est arrivé : non contents
d’avoir violé la consigne qui leur défendait de s’éloigner
de la corvette, nos deux marrons avaient poussé
jusqu’à terre. Là ils avaient abandonné leur embarcation
pour fraterniser sans doute avec les habitants
ou peut-être les habitantes des Viti, et pendant ce
temps-là l’heure delà marée basse était arrivée et leur
canot s’était trouvé complètement échoué. Dans l’impossibilité
où ils étaient de le remettre à flot à cause
d’un large banc qui se trouvrait à sec devant eux par
le retrait des eaux, bon gré mal gré il avait fallu attendre
de nouveau la pleine mer pour pouvoir le ramener.
Ils en seront quittes pour passer trois nuits
aux fers, et en même temps ils seront privés, pendant
trois jours, de leur ration de vin.
Une petite pirogue accoste nos corvettes pendant
que nous travaillons à lever notre ancre. Du reste
elle n’apporte presque rien, et trouve peu d’acheteurs.
Les naturels qui la montent nous annoncent
que plusieurs grandes pirogues qui quittent à peine
le fond de la baie, se proposent de venir à bord de
nos corvettes pour y apporter des boule-koula dont
elles espèrent retirer un bon prix. Mais sans les attendre
je profite d’une petite brise de S. E. pour
mettre à la voile et sortir de la baie. En même temps
Grandy prend congé de nous, et s’établit, armé jus-
ques aux dents, au gouvernail de sa pirogue, montée
par quatre vigoureux Kai-Viti de l’île Obalaou. Toutefois,
j’ai remarqué que ceux-ci ne se sont point
souciés de fraterniser avec les habitants de Boua, bien
qu’ils soient en paix et qu’ils obéissent aux mêmes
lois.
Nous n’étions encore qu’à l’entrée de la baie de
Boua, et nous cheminions lentement dans les canaux
qui y conduisent, lorsque nous fûmes entourés par
une flotte nombreuse de grandes pirogues qui navi-
viguaient tout autour de nos navires. Montées cha-
cunes par 12 ou 15 naturels établis sur leurs plateformes
avec tous leurs bagages, ces embarcations
présentaient un spectacle très-animé. Sur l’une d’elles
nous crûmes remarquer un Européen qui nous faisait
des signes, mais comme j’étais pressé, je continuai
ma route. Du reste les fréquentes conversations que
j’ai eues avec Grandy ont singulièrement refroidi mes
idées philantropiques, car il m’a assuré que des naufragés
sur les îles Viti trouveraient toute facilité pour
regagner leur patrie, s’ils le voulaient, et que jamais
les naturels n’ont tenté de les retenir par force. Du
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