tasques, voyant onze hommes garder un moraï somptueusement
orné d’étoffes de toutes couleurs, eut la curiosité de s’en approcher;
on lui fît entendre que c’était le moraï de feu le père et le prédécesseur
du roi Mateoté, et qu’il était tabou. Au moyen d’une galette
de biscuit, il parvint cependant à fléchir les gardes qui le laissèrent
entrer. Non content de cela, il conçut le bizarre projèt d’avoir
quelque partie du squelette pour me l’apporter. Mais comment
faire? il prit à la main quelques morceaux de biscuit et les jeta au
loin dans les arbustes. 11 avait bien jugé les hommes préposés à
la garde de ce lieu sacré; tous se précipitèrent après l’appât qui
leur était jeté, et mon homme saisissant adroitement l’instant favorable,
arracha une côte de squelette, la mit dans sa poche, et
s’en fut tranquillement. Nul doute que s’il avait été vu il eût
payé de sa vie cette violation du moraï sacré, et que par suite
nous eussions eu un engagement sérieux avec cette tribu. Aussi
je le gourmandai vertement quand il m’apporta son trophée;
mais je ne pus m’empêcher de rire intérieurement de son
adresse.
Je passai seul vers onze heures dans la baie de l’est, pour terminer
mon travail ; elle est plus spacieuse que la première, mais
presque inhabitée. La vallée qui y aboutit se termine promptement
à une chaîne de montagnes; elle est peu fertile en comparaison
de la première. Aussi n’y voit-on que quelques cases. Cette
baie est du reste la seule où puissent mouiller les navires, l’autre
étanttroppetite. Une fois mon travail terminé, je retournai auprès
de mes compagnons que je trouvai occupés à faire préparer notre
dîner, composé des poules qui le matin avaient failli nous
brouiller avec les naturels. Quand nous voulûmes faire cuire
notre pitance, ceux-ci nous objectèrent le tabou pour tous les
points de la baie, hors un arbre isolé, sous lequel il nous fut
loisible d’allumer du feu. Pendant que nous étions à préparer
notre dîner, la reine arriva suivie de ses serviteurs; elle venait sur
le bord de la mer au milieu d’un groupe de femmes, elle pouvait
avoir 25 ans environ ; elle était petite.et replette et n’était nullement
jolie. Tout son costume consistait en une pièce d’étoffe
blanche jetée sur ses épaules; elle partit peu après avoir satisfait
sa curiosité.
La nuit était venue quand nous eûmes fini notre frugal repas,
et cependant je me décidai à partir à l’instant même pour retourner
à b o rd , préférant rester une partie de la nuit à la
mer plutôt que de passer une mauvaise nuit au milieu de cette
tribu avec laquelle le moindre incident pouvait amener une rupture.
(AL de Monlravel.)
Note 6, page 34-
Les jeunes filles étaient contentes de se trouver avec nous, à
ce qu’il paraît; car, sur une simple demande de notre part, elles
s’empressèrent de nous donner un échantillon des danses et des
chants du pays.
Elles se rangèrent sur deux files en se faisant face. Elles étaient
assises et leurs jambes étaient entrelacées. Une d’entre elles, qui
me faisait l’effet de conduire le.chant, entonna une façon de
strophe dont l’expression était interrogative, et dès qu’elle eut
fini toutes les autres répondirent par un mot fortement prononcé
et suivi d’un court silence. Elles semblèrent ensuite expliquer le
motif qui les avait engagées à prononcer ce oui ou non en chantant
en choeur une espèce de pot-pourri et en remuant en même
temps les mains et les doigts avec une souplesse et une vivacité
admirables. Portant leurs mains à droite, à gauche et en avant'
d’elles, les modulations de leurs voix semblaient prendre tantôt
un ton de reproche, tantôt une autre expression pour arriver à
une finale in terrogative pour celle qui avait commencé le chant.
Celle-ci répondait à son tour, mais elle était aussitôt interrompue
d’une manière sèche et brève par toutes les autres, qui recom-
IV . 1 9 1