reste, depuis treize ans que Grandy est fixé dans cet
archipel, il n’a vu qu’une seule fois les naturels massacrer
les équipages que des naufrages fréquents jettent
à la côte. Ce fut celui du brick OEneo qui se perdit
sur une île qu’il appelle Taiji, encore m’a-t-il assuré que
les insulaires ne se portèrent à cette extrémité que
parce qu’ils étaient exaspérés par la mauvaise conduite
des Européens. Le capitaine du navire avec
un autre individu du nom de Wam furent seuls
épargnés.
A peine dégagés des récifs qui environnent la baie,
nousAtous dirigeâmes sur YîleAndoua, dont nous prolongeâmes
la faee méridionale. Cette île, jadis si peuplée
mais aujourd’hui saccagée et rendue déserte par
les habitants de Boua, paraît avoir eu de jolies plages,
de belles touffes de cocotiers, et des stations fort
agréables. Mais sur ces terres jadis si fertiles on ne
remarque plus actuellement que de vastes espaces
colorés en rouge par l’incendie des forêts et quelques
arbres qui échappèrent aux flammes, et que voulurent
bien épargner ses barbares vainqueurs.
Vers la pointe S. 0. nous remarquons un petit îlot
à peine séparé de la grande île ; sur cette dernière un
petit enfoncement protégé par des récifs, semble promettre
un bon petit port. Du reste, nous n’y aperçûmes
pas traces d’habitants, et les lames qui brisaient
sur les plages troublaient seules le silence qui règne
sur ces terres dont tous les habitants ont été détruits
par la guerre.
Nous avions à peine dépassé Andoua, que l’île Ronde
apparaît comme un point sur l’horizon à 20 ou 25
milles de distance ; en même temps sur notre
gauche, les hauts sommets de l’île Viti-Levou se détachent
sur l’azur du ciel. Favorisés par une belle
brise, nous filons rapidement, bien que des teintes
vertes dans la mer, en annonçant des récifs plus ou
moins enfoncés sous les eaux, nous forcent à changer
souvent notre route, menaçant de nous faire payer
cher la moindre imprudence.
La chaîne des îles Saor se montre déjà sur l’horizon;
jusque-là les récifs ou hauts-fonds avaient été
assez séparés pour être évités facilement, mais vers
trois heures les espaces d’eaux décolorées deviennent
si fréquents qu’il faut manoeuvrer à chaque instant
pour ne point les rencontrer. Un homme placé en vigie
sur les barres de petit perroquet veille attentivement
et prévient de l’approche des dangers; néanmoins,
malgré toutes nos précautions, à 4 heures et
demie nous sommes obligés de traverser un espace
assez large où les rochers de coraux se montrent sous
la mer. La sonde, il est vrai, accuse encore de 4 à 6
brasses sur cetécueil, mais il suffirait d’une tête de
roche pour arrêter et crever nos navires, et pour
ajouter une épisode de plus à l’histoire des naufrages
déjà si nombreux dans cet archipel dangereux.
Enfin, vers six heures, l’eau redevient profonde et
reprend sa teinté bleuâtre ; toutes nos inquiétudes
cessent, et entièrement dégagées, nos corvettes reprennent
leur marche avec une vitesse régulière de
six noeuds.