chef tonga se recueillit quelques instants , e t , commençant sur-
un ton lent et fortement accentué , il parla pendant plus de vingti
minutes, nous faisant regretter de ne pas comprendre la langue,
d après l’attention prononcée qui était peinte sur tous les visages ;
de temps a autre il s’arrêtait et attendait pour recommencer que
les principaux eussent donné leur assentiment à ce qu’il venait,
de dire.
Tanoa continuait à conserver son air hébété et tournait dans sa,
main droite un mauvais couteau dont il s’était armé dès le commencement
de la séance. Autant que put le comprendre notre interprète
Simon et, il leur rappela toutes les circonstances de l’assassinat
de Bureau, appuya sur la lâcheté de Nakalassè et sur
l’expédition militaire du matin, ayant soin toutefois de ne pas
s’oublier dans cette dernière circonstance et s’administrant une
grande part du succès. Quand il eut cessé de parler, un applaudissement
exprima la satisfaction générale. Nous remarquâmes
néanmoins, dans le groupe qui entourait le r o i , quelques naturels
q u i, durant toute cette harangue, tinrent tristement leurs
yeux fixés vers la terre, ne donnant aucun signe d’approbation
ni d’improbation, et nous sûmes qu’ils étaient parents de Naka-
lassé, et q u e , tout en blâmant sa conduite, ils ne pouvaient cependant
pas ressentir delà joie de l’abaissement dans lequel nous
l’avions réduit.........
Nous croyions, après cela , la séance terminée, et déjà nous
nous disposions à quitter les lieu x , lorsque deux énormes corbeilles
couvertes de feuilles de bananier, furent apportées dans
l’enceinte ; elles contenaient en grande quantité des crabes cuits,
des bananes et des taros qui, mis à la disposition des matelots, disparurent
promptement. La part des états-majors était d’un choix
plus relevé, elle consistait dans un cochon coupé par morceaux,
cuit et servi dans une grande chaudière en terre. Connaissant le
goût des Vitiens pour la chair humaine et ayant appris que quelques
jours auparavant, ils avaient fait un de ces repas favoris, je
me figurai aussitôt que le vase que j ’avais devant leâ yeux était le
même qui avait servi à préparer la victime, et je ne pus prendre
sur moi de chasser cette idée qui m’enleva toute envie de manger.
A l’une des extrémités de la place, se faisait remarquer une bâtisse
dont l’apparence semblait indiquer quelque but mystérieux ;
c’était un carré d’environ vingt pieds de côté, enfermé par quatre
murailles élevées , au-dessus desquelles, de distance en distance,
s’élancaient de grandes pierres rectangulaires et aiguës. Notre interprète
Simonet, auquel nous en demandâmes la destination,
nous assura que c’était là où étaient dépecés les corps qui devaient
être mangés. Quoique curieux d’en visiter l’intérieur, nous
craignîmes d’éprouver un refus, et nous nous contentâmes de
l’explication.
Notre conversation avec Tanoa ne fut ni vive ni animée ; peu
causeur et à demi-abruti, paraissant insensible à tout ce qui se
passait, à peine répondait-il par un signe de tête aux questions
que le commandant d’Urïille lui adressait par le canal de l’interprète
j il ne parut s’animer un peu que lorsqu’on lui parla de
Tomboua-Nakoro , ce chef que dans notre campagne précédente
nous avions rencontré, faisant une tournée dans les îles, et qui
était resté plusieurs jours notre compagnon de voyage sur Y Astrolabe.
Tomboua-Nakoro était le fils de Tanoa, et avait été tué en
i 836 dans un combat qu’il soutenait pour défendre les droits de
son père qu’un parti voulait déposséder. Devenu par son âge et
ses infirmités, un meuble inutile pour le beau sexe, le vieux chef
n’en est pas moins jaloux de ses droits et ne saurait tolérer qu’on
y porte la moindre atteinte ; s’apercevant, il y a quelque temps ,
qu’une de ses femmes était enceinte, et bien certain que cette grossesse
n’était pas le produit de ses oeuvres, il obtint par menaces
le nom du coupable, le fit surprendre et assommer, et prit sa part
du repas horrible auquel servit le corps de la victime ; il se contenta
de cette vengeance et pardonna à la femme parce queson sé