qu’à sa jeunesse, laissait à sa peau sa couleur naturelle d’un jaune
bronzé clair, peu différente de celle des habitants du midi de
1 Europe, tandis que celle des vieillards et de beaucoup d’hommes
tatoués de la tête aux pieds d’un tatouage serré, était d’un
noir quiapprochaitde celui de la race nègre; ils perdirent beaucoup
à nos yeux.
J’accédai à la demande de ce jeune indigène, et le laissai monter
à bord. Reconnaissant alors l’exception faite en sa faveur, il
m’offrit en présent une belle pagaie en me disant son nom. Il
s’appelait Matéomo.. Comme il me demandait le mien par signe, je
compris tout de suite qu’il voulait me prendre pour son tayo, et
le lui donnai aussitôt avec quelques présents, en retour des siens.
Des ce moment, suivant la coutume polynésienne, jadis toute
puissante à Taïti, nous avions comme changé de nom et étions
unis par une espèce de lien de fraternité. Cette coutume qui a
quelque chose de touchant et de naïf, rappelle par la simplicité
des moeurs qu’elle suppose l’époque patriarcale qu’on peut appe-
er âge d or des sociétés. En acceptant cette offre de Matéomo, je
ne me dissimulai pas que le désintéressement avec lequel les Polynésiens
offraient jadis leur amitié de tayo, a depuis longtemps
isparu, amant sans doute par la faute des Européens qui en
négligeaient les devoirs, que par la cupidité de ceux-ci qui s’est
accrue avec la possession et l’exemple ; ce n’est guère aujour-
d hm qu’une manière de voiler des projets de vol ou le désir
d exploiter exclusivement un voyageur. Je savais bien que nous
u étions plus au temps de Cook et de Forster, dont les récits sont
pleins de traits de dévouement et d’amitié dont ils reçurent tant
de preuves désintéressées à Taïti, et qui leur inspiraient un
amour enthousiaste pour ces insulaires.
Malgré cela, je tâchai de me persuader qu’en m’offrant son amitié
il n’était mu que par des motifs honorables. Sa jeunesse, son air
simp e, bon et ingénu d’ailleurs, l’annonçaient. Dès qu’il eut place
W la dunette en sa nouvelle qualité, au milieu des officiers, il
parut tout fier de cette distinction ; les autres s’en montrèrent
jaloux et s’offrirent aussitôt pour tayo, à tous nos camarades ;
mais aucun d’eux -ne répondit à ces avances, car c’eût été nous
exposer à être envahis. Matéomo fut donc pour le moment l’objet
des attentions générales et y répondit en partageant entre nous
sa pagaie et en nous offrant en outre quelques goyaves. Je fus
surpris d’abord de voir l’espèce d’indifférence avec laquelle il regardait
les femmes et les jeunes filles qui faisaient galerie autour
de la corvette, et combien il différait en cela de ses compatriotes;
mais j’appris bientôt qu’il était tabou pour elles et qu’il s’était par
conséquent interdit leur commerce. Son dédain paraissait si peu
affecté, qu’on ne pouvait douter qu’il ne fût un stricte observateur
du tabou, et rien ne prouvait mieux la puissance de cette
institution, que son empire absolu sur un jeune homme comme
lui, dans un âge où les passions sont le plus violentes, sous ce
ciel ardent où les sexes sont toujours mêlés depuis l’enfance, les
jeunes filles sans aucune retenue et où, d’après les gestes et le langage
de tout ce qui nous entourait, on voyait que dans ces îles,
on n’attache pas plus d’importance à leur union qu’à l’acte le plus
simple de la vie animale, tel que le boire et le manger, où le
mariage ne prescrit, pas même la fidélité, et où le plaisir des sens
est la loi suprême.
Quant aux motifs pour lesquels mon tayo se les était interdites,
je ne pus les découvrir. Probablement il appartenait à une famille
de prêtres, et chez eux c’était peut-être un moyen d acquérir
de l’influence sur la multitude, que de s’élever pour ainsi
dire au-dessus d’elle, en résistant à la plus impétueuse des passions
à laquelle elle obéit exclusivement, et qui est irrésistible
pour le sauvage où la jeunesse n’est préparée à y résister, ni par
l’éducation, ni par la religion, ni par les moeurs, toutes choses
qui sont encore souvent si impuissantes chez les peuples civilisés.
Matéomo, qui n’avait pu me décider à aller coucher chez lui