sans doute du fond de son royaume de la Nouvelle-Zélande, il
continuait à étendre sur -eux sa puissante et paternelle protection......
Au coucher du soleil, trente femmes environ, vinrent à bord à la
nage.Nous en réunîmes deux ou trois sur l’arrière pour les faire
chanter. En entendant les premiers sons, toutes leurs compagnes
dispersées sur le pont, vinrent se joindre à elles ; elles s’assirent en
rond et commencèrent le concert le plus bizarre et le plus inoui
qu’on puisse imaginer. Rien ne pourrait donner une idée de cette
sauvage harmonie. D’abord, l’une d’elles chanta seule quelque
temps, d’une voix lente et grave, puis toutes ensemble reprirent
en choeur. Quoique rauque et monotone, ce chant n’était point
discordant ; elles marquaient exactement la mesure en frappant
leurs mains l’une contre l’autre. Le bruit qu’elles produisaient
ainsi formait un accompagnement assez savamment combiné;
car tandis que les unes frappaient assez vite leurs mains à plat
l’une contre l’autre, et rendaient ainsi un son mat et précipité,
d’autres en formant un creux de leurs mains faisaient entendre
par intervalles un son grave et sonore comme les grosses cordes
d’une basse, quelques autres enfin rendaient des sons intermédiaires
par d’autres artifices. Pendant plus d’une heure, nous
prîmes plaisir à les écouter, et elles nous chantèrent tout leur
répertoire. Bientôt les gestes et la danse se joignirent aux chants.
Combien j’aurais donné alors pour les comprendre. Toute leur vie,
toutes leurs émotions étaient là; tout, depuis les chants d’amour
des jeunes filles, jusqu’aux chants de guerre des chefs, les joies
de la victoire, les repas des vainqueurs cannibales, les tristesses
et les funérailles des vaincus ; tout était retracé par ces chants à
la fois lents et doux, puis rauques, saccadés, précipités, aigus.
Elles se levaient simultanément agitant leurs bras, se tordant de
mille manières, avec un ensemble, une souplesse qui eussent fait
honneur à des coryphées de l’opéra. Il y avait surtout un chant
doux et lent où revenait souvent le mot de veveo. Veveo est pour
les Nouka-hiviens une terre de promission, un lieu de délices,
c’est une de leurs traditions. Souvent des familles entières se sont
entassées dans leurs pirogues avec quelques vivres, et se sont
ainsi exposées à la merci des flots, à la recherche des cette terre
imaginaire. Quelle fin horrible ont dû avoir la plupart de ces
malheureux! Bien peu certainement sont parvenus sur quelqu’une
de ces petites îles de l’Océanie qu’on s’étonne de voir
peuplées. Gomme nous leur avions fait comprendre que nous
partions pour Vavao, tous voulaient venir avec nous.
L e 3 i au matin, nous nous aperçûmes que Mateomo, le tayo du
lieutenant, n’était plus à bord ; personne ne l’ayant vu partir, on
ne savait comment expliquer cette disparition subite, lorsque
M. de Montravel s’écria que son fusil lui manquait, et dès-lors
tout fut expliqué. L’arme luisante et bien entretenue était placée
dans un coin, vers la porte de la chambre ; un des grands plaisirs
de ce chef était de la prendre et de se promener majestueusement,
sur le pont, à l’instar d’une sentinelle ; le pauvre garçon n’avait
pu résister à son envie, et il s’était enfui à la nage pendant la nuit,
emportant le fusil précieux. Nous allâmes à sa case, mais il n’y
était pas, et nous apprîmes qu’il étaitdans les montagnes.
Dans la soirée, tandis que nous étions en train de dîner, une
affreuse.nouvelle vint tout à coup nous interrompre au milieu de
notre repas. Un des matelots américains arriva à bord, et nous
appritque M. Le Guillou parti le matin pour aller faire une excur-
rsion géologique de l’autre côté de la montagne, avait été tué avec
son guide par les Hapas, tribu voisine, alors en guerre avec les
Nouka-hiviens, et qü’il était sans doute destiné à servir de festin
à ces cannibales. Tout fut aussitôt en rumeur à bord des deux
corvettes. M. d’Urville résolut sur-le-champ un plan d’attaque ;
tandis qu’une cinquantaine de matelots armés, aidés des Nouka-
hiviens, attaqueraient par terre, les deux navires iraient s’embosser
dans la baie des Hapas, et les prendraient ainsi entre
deux feux.