préférerait au besoin voir les moeurs outragées plutôt
que de s’allier au sang des hommes qu’il regarde
comme trop au-dessous de lui. A leur tour, les naturels
ont bien voulu jusqu’ici accepter ces idées
comme une loi du destin ; mais à la longue, leurs
réflexions aussi bien que les perfides conseils des
Européens, jaloux de la fortune des missionnaires,
finiront par éclairer ces peuples sauvages sur les
prétentions de ces étrangers. Dès-lors commencera
une réaction peut-être violente, le prestige qu’ont
inspiré les missionnaires sera mis en doute, et leur
empire sera près de s’écrouler. A Taïti ce moment est
venu, et il est difficile de prévoir ce qui arrivera
d’ici à quelques années.
Après avoir accepté quelques rafraîchissements
chezM. Rodgerson, nous accompagnons MM. Du Pe-
tit-Thouars et Moerenhout jusqu’au tombeau de Po-
maré, où se font définitivement nos adieux. M. Du
Petit-Thouars devait opérer son retour en France par
Sidney, l’île de France et le cap de Ronne-Espérance.
M. Moerenhout allait continuer à passer son existence
au milieu des Taïtiens et des dignes missionnaires
qui du reste n’étaient point ses amis, et nous, nous
allions rapidement nous diriger vers les îles des Navigateurs
, sur lesquelles je n’osais encore former
aucun projet de relâche, car mes décisions sont soumises
aux chances et aux caprices des éléments.
Seulement, M. Du Petit-Thouars n’étant pas décidé
à aller aux îles Viti pour tirer vengeance de la mort
du capitaine Rureau, je le prie de me donner copie
des dépêches qu il avait reçues à ce sujet du minisire
des affaires étrangères, afin qu’elle puisse me servir
au cas ou, sans me déranger de ma route, je trouverais
l’occasion de remplir cette mission. M. Du Petit-
Thouars me promet de me communiquer cette pièce,
et de m’en envoyer la copie aussitôt arrivé à son
bord.
La journée est des plus belles, et j’en profite pour
faire une promenade de longue haleine. Je renvoie
mon canot à bord, et, accompagné de MM. Jacquinot
et Roquemaurel, je prends la route de terre pour
gagner Matavaï. J aurais désire visiter Paoufai et
Hitoh, deux chefs puissants qui, secouant le joug
apostolique, se sont déclarés les amis des Français,
et se sont opposés aux mesures prises contre nos
deux prêtres catholiques; il m’eût été agréable de
pouvoir leur témoigner toute ma satisfaction pour
leur conduite et leur offrir quelques présents ; mais
ds étaient absents pour le moment, et leur habitation
était déserte.
Notre retour vers Matavaï se fait en suivant la
plage. Je retrouve bien cette belle terre que j ’ai déjà
visitée quinze ans auparavant. C’est bien la riante
Taïti avec ses ombrages délicieux, sa prodigieuse
fertilité et son doux climat. Mais nonobstant les
assertions des Anglais, je ne m’aperçois pas que la
population soit en voie de progrès. Les cases habitées
et les lieux cultivés me paraissent au contraire diminués,
surtout à P ap a -O a et à Matavaï. Il est'
vrai que cette différence tient peut - être à l'excès
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