Septembre. mes anciennes connaissances, m’apporte une lettre
du commandant de la Vénus. Celui-ci me vante fort
la supériorité du mouillage de Papeïti sur celui de
Matavai, et m’engage à y amener mes navires. Il remet
Gem à mes ordres pour me piloter, en me louant
beaucoup sa sagacité. Mais je désire rester à Matavai.
d’autant plus que je désire faire lever le plan de ce
port, dont on ne possède encore que des ébauches incomplètes.
Seulement je retiens Gem pour guider demain
mes canots qui iront à Papeïti. Gem avait admirablement
profité de l’école anglaise, aussi ce digne
homme était-il ivre les trois quarts du temps, et il
semblait croire que pour y voir clair, il fallait que le
rhum lui sortît par les yeux. Aussi la première demande
qu’il me fait est celle de lui faire donner de
l’eau-de-vie.
A six heures et demie, je descends à terre en com-
gagnie de M. Jacquinot, et nous allons rendre visite à
M. Wilson, pasteur de Matavai, doyen des missions
anglaises, et l’un des premiers débarqués dans ces îles.
Je le trouve bien vieilli et bien tombé depuis ma dernière
visite, 15 ans auparavant. Après quelques détours,
il entame le chapitre relatif à la Vénus. Sur-le-
champ, je lui exprime toute l’indignation que m’a fait
éprouver la conduite de la reine, des missionnaires, et
surtout de M. Pritchard en cette occasion. Il cherche à
excuser ce dernier sur des prétextes de guerres et de
discussions civiles que j ’eus bientôt victorieusement
réfutés. Toutefois, prenant en considération le grand
âge de M. Wilson, la vue de ses filles présentes à l’entretien,
et surtout le crève-coeur et l’effroi que ces
gens durent éprouver en voyant des étrangers prêts à
leur enlever la position fortunée qu’ils s’étaient acquise
par des années de travaux et d’attente souvent
mêlées de peines et de tribulations, je détourne la
conversation sur d’autres sujets, tout en protestant de
mon respect pour leur caractère et de mes intentions
amicales en leur faveur.
En sortant de chez ce missionnaire, M. Jacquinot
et moi, nous suivons les bords du limpide torrent de
Matavai, et nous y prenons un bain d’une heure ou
deux. Près de nous, au milieu des bosquets de goyaviers
rôdent des naturels qui nous offrent à chaque
instant des femmes, mais voyant que leur marchandise
n’avait pas cours chez nous, ils courent s’adresser
aux officiers et aux matelots près desquels ils trouvent
un merveilleux débit. Dès-lors je puis vérifier que tout
ce que j’avais entendu dire sur la dépravation morale
des habitants de Taïti, et la prostitution des femmes
est encore au-dessous de la vérité. Les chefs sont les
premiers à offrir leurs femmes et leurs filles pour un
tava (dollar), et leur avidité pour l’argent cherche à
se satisfaire par les moyens les plus vils et les plus
révoltants. Notre premier visiteur Pewe-we, que
M. Rodgerson nous a présenté comme le chef principal
de Matavai, a donné l’exemple de cette honteuse cupidité,
nous n’avons pu nous en débarrasser qu’en lui
promettant la fourniture du bois de chauffage des
corvettes.
J’ai su dans la soirée, que les missionnaires avaient