provisée. Seulement les rôles étaient changés, et la curiosité la
plus vive se trouvait alors parmi les habitants de la Zélée.
Ces jeunes filles encore Humides de l’eau de la mer, offraient les
gi oupes les plus gracieux, debout, accroupies ou suspendues aux
mailles du filet. Elles pouvaient avoir de douze à quinze ans ; les
plus âgées n’avaient pas vingt ans. Plusieurs eussent été trouvées
jolies, même en Europe, ét on voyait du reste qu’il y avait chez
celles-ci beaucoup de sang européen. Toutes en général étaient
assez blanches ; beaucoup avaient bien le nez un peu épaté; les
lèvres un peu grosses, mais toutes avaient des dents d’une blancheur
éblouissante, de beaux cheveux noirs et lisses, flottant sur
leurs épaules, ou relevés derrière la tête. Leur seul vêtement était
le pagne dont j ai parlé, composé d’étoffe d’hibiscus pour les unes
et pour les plus riches d’un foulard ou d’un morceau d’indienne.
Leurs seules parures étaient de belles roses de chine blanches et
rouges, qu’elles entremêlaient à leurs cheveux. Quelques-unes
avaient les lèvres légèrement tatouées de petites lignes bleues verticales
qui faisaient encore ressortir la blancheur de leurs dents;
leurs mains en général petites et bien faites, offraient chez plusieurs
quelques mouches de tatouage. Toutes étaient généralement
de petite taille.
Peu accoutumées a voir leurs charmes dédaignés, elles nous
regardaient avec étonnement; elles eurent bientôt recours aux
grands moyens. Un murmure sourd parcourut toute la bande,
un bruit s éleva, monotone et lent comme celui qu’on entend dans
nos campagnes près d’une pièce d’eau, par une belle soirée d’été;
toutes les mains s’élevèrent et s’agitèrent avec frémissement, puis
tout a coup, deux ou trois notes brusques et aiguës terminèrent,
cette musique aquatique. C’était probablement un chant d’amour,
peu harmonieux à la vérité, mais au moins fort original, et qui
fit rire nos matelots aux éclats.Satisfaites de l’effet produit, elles
i ecommencèrent, puis et encore, accompagnant le tout de gestes
auxquels on ne pouvait se méprendre ; elles déployaient tous leurs
moyens. Ayant voulu me rendre à bord de l’Astrolabe pour prendre
les ordres du commandant, mon canot fut assailli par une
trentaine de syrènes qui le prirent à l’assaut et dont j’eus toutes
les peines du monde à me débarrasser. M. d’Urville consentait à
introduire ces nymphes à bord ; seulement, un coup de canon
devait être le signal de leur entrée et de leur départ. Au coucher
du soleil le tabou fut levé et l’ennemi se précipita sur le pont.
Le lendemain après avoir déjeûné à la hâte, nous nous fîmes
transporter à terre ; en débarquant, un homme couvert de haillons
vint au-devant de nous. C’était un Espagnol, vivant depuis
longtemps avec ces sauvages et paraissant plus sauvage qu’eux.
Sa peau était aussi basanée et beaucoup plus, malpropre que la
leur. Il nous indiqua la case de la reine, située à quelques pas
du rivage. Nous nous y dirigeâmes aussitôt, curieux de contempler
la figure royale. C’était une femme de trente ans environ,
d’un embompoint majestueux et ayant la peau assez blanche ; ses
épaules et ses bras étaient couverts d’un merveilleux tatouage,
hiéroglyphes bizarres,poissons fantastiques, arabesques uniques
sans type nulle part, dessinés purement en belles lignes bleues
sur sa peau lisse. Sa Majesté fut très affable à notre égard et nous
laissa admirer et toucher à volonté sa parure ineffaçable. Auprès
d’elle était un beau vieillard à barbe blanche, entièrement tatoué;
mais les années avaient tellement rapproché les mille raies de son
tatouage, qu’il paraissait seulement avoir la peau d’un noir
bleuâtre......
Les hommes étaient assis devant leurs cases, tenant à la main
un large éventail finement tissu de minces lanières de feuilles de
cocotiers, et dont le manche de bois et quelquefois d’o s , représentait
des figures humaines assez bien sculptées. Ils nous offrirent
la plus belle race de sauvages que l’imagination puisse créer,
grands, sveltes, dignes de servir de modèle au statuaire ; ils ont
le nez droit, les lèvres médiocrement grosses, les dents fort blanches
, le visage ovale ; ils ont la tête nue, leurs cheveux noirs et