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En rentrant à Matavai, Pewewe nous donna de nouvelles
preuves de l’avilissement actuel des Taïtiens, en nous offrant'lui,
chef de ce district, demeurant presque porte à porte avec, les
missionnaires, de nous procurer des femmes. Avant de rentrer à
bord, je vis un grand nombre de celles-ci qui renouvelaient avec
nos matelots les scènes de Nouka-Hiva. Plusieurs enfin qui
s’ètaientréunies près de nos canots, entonnèrent alors, à notre
grand étonnement, l’ancien chant d’amour du Taitien, accompagné
de sa pantomime indécente, et imitant, à s’y mépiendre, le cri
des cochons, qu’elles proféraient le plus bas possible pour n’être
pas entendues par le Mitionnary. On pouvait voir par là que ce
peuple n’était nullement retenu par la crainte morale, et que
chrétien de nom seulement il n’en comprenait nullement les
principes, et la dissolution était alors d’autant plus coupable,
qu’elle ne pouvait plus , comme autrefois , être excusée par
l’ignorance du bien et du mal. Si la corruption des chefs et la licence
des femmes, pratiquées si ouvertement, donnaient une triste
idée de cette population, la conduite de ces enfants comblait la
mesure. Combien ces premières impressions que j’éprouvais à
Taïti étaient différentes de celles que .m’avaient causé à la première
vue l’intéressante communauté de Manga-Reva, combien
aussi je plaindrais ceux qui sont à leur tête, si leurs enseignements
n’aboutissaient qu’à un aussi triste résultat. Les Taïtiens passent
aussi pour avoir eu leur temps de ferveur"; si elle s’est éteinte si
vite, j’aime à croire plutôt que la conduite des méthodistes et
leurs vues intéressées y ont contribué pour beaucoup, que de
penser que cette réaction fâcheuse n’était due qu’à la faiblesse de
la nature humaine, et que la société si morale et si patriarcale
de Manga-Reva était exposée à voir s’opérer dans peu d’années
dans son sein une aussi funeste révolution......
Je me rendis après dans une modeste chaumière voisine,
habitée alors par le général Freire, ancien président du Chili,
grandeur déchue qui, forcé de s’exiler de son pays, où il occupa
jadis la magistrature suprême, traînait alors à Taïti la plus triste
des existences. Je lui remis des lettres de sa famille, qu’on m’avait
données-à Valparaiso. Dans un court entretien que j’eus avec lui,
il s© plaignit vivement de Finquisition des missionnaires, de
l’état barbare et de la dissolution des Taïtiens, de la faiblesse du
gouvernement delà reine, qui ne pouvait, disait-il, protéger personne
et laissait des bandits désoler le pays. Tout ce qu’il voyait
dans cette île, depuis qu’il l’habitait, lui faisait regretter plus
vivement le Chili et le jour où il pourrait se retrouver au milieu
de la civilisation et sous la protèction de ses lois. Je ne pouvais
m’empêcher de songer, en l’entendant parler ainsi, à l’aveuglement
où le plongeait l’amour de son pays, qui lui faisait
oublier combien les lois y sont a-ussi impuissantes'.__
En rentrant à Matavai, j’appris qu’un Taïtien venait de voler
dans un;de nos canots les deux tapis, pendant que l’homme de
garde s’était absenté. Je me rendis en conséquence chez le révérend
"Wilson pour réclamer sou intervention pour faire' recher-
cher.le voleur ; il eut, suivant son habitude , toute la complaisance
possible pour nous aider dans cette recherche, fit appeler
devant moi le chef, et me fit espérer que nous les retrouverions.
Je partageai d’autant plus facilement sa confiance, que je pensai
qu’il en ferait une affaire d’amour-propre pour se venger lùi et
ses collègues des accusations portées contre eux et contre toute la
population dè Taïti par divers voyageurs, et réhabiliter celle ci en
nous prouvant combien les voleurs sont peu nombrcux dans l’île,
et la-manière habile avec laquelle on y fait la police. En effet,
quelques heures après, l’obligeant M. Wilson nous fit prévenir
que les tapis étaient retrouvés. J’appris alors les moyens qu’on
avait employés pour cela. Le chef chargé de faire la police avait
fait arrêter aussitôt quelques Taïtiens, voleurs reconnus, et les