longues pattes comme les langoustes, et un poisson assez
gros ressemblant à un vrai goujon. A partir de là , le chemin
passait à chaque instant d’un bord à l’autre de la rivière.
Dans le commencement je me iis porter par mon guide, mais
bientôt j ’imitai mes compagnons de route et je traversai tout
seul. La rivière était peu profonde, nous n’en eûmes jamais
plus haut qu’a mi-cuisse et encore ces endroits-là étaient rai’es.
La vallée se rétrécissait toujours, les montagnes étaient sur nos
tètes,c’est le mot, quelquefois la rivière en bat tait le pied, de grandes
murailles s’élevaient de temps en temps d’un côté ou de l’autre,
tapissées de mousse et de gigantesques fougères ; cela devenaitma-
gnifique, devant nous , entre les fentes des montagnes. On apercevait
le superbe pic de l’Oréana avec ses deux pitons ; toute cette
gorge était couverte de grands bois si 'fourrés, que jamais on ne
voyait un bout de rocher; sur les parties les plus à p ic , c’était la
même chose. Nous rencontrâmes quelques ananas sauvages, une
espèce de poirier à larges et longues feuilles (oupani), ayant
• a la fois 1 odeur de poivre et de gingembre. Ce furent nos guides
qui nous les montrèrent et nous les firent sentir. Les arbres les
plus nombreux étaient le pourao et le vihi. Les vihis étaient gé—
néralementdes arbres gigantesques, c’étaient les plus gros de tous ;
venaient ensuite les pouraos, Les cocotiers allaient en diminuant
et même bientôt nous n’en vîmes plus un seul. Nous nous arrêtâmes
un instant sous de grands b o is , au pied d’une vaste muraille
couverte de fougère, de mousse , etc. C’était pour ramasser
quelques coquilles terrestres, que nous trouverions sur les
feuilles et sur les troncs d’arbres.
Il pendait des arbres de magnifiques lianes ( poué ou pohoué)
entrelacées entre elles, et me rappelant avoir lu que les jeunes
Taitiens se balançaient amoureusement là-dessus , je voulus en
faire autant; mais un des guides m’en empêcha bien vite, en me
disant : Mate-mu-male-mate, et en faisant le geste ou le signe d’un
homme qui se casse le cou. 11 est vrai de dire que celles-là partalent
d’une hauteur effrayante. C’est ég al, je n’essaierai jamais
à m’y balancer.
Nous continuâmes notre rou te , traversant toujours à chaque
instant la riv ière, et parfois marchant quelque temps dans l’eau
Un des guides pécha plusieurs poissons et deux écrevisses ; l’eau
y était plus profonde et plus rapide. Nous vîmes quelques petites
cascades tombant des rochers et de grands massifs perpendiculaires,
couverts d’une mousse allongée, dont l’aspect indiquait
que dans les temps de pluie il devait y avoir de grandes nappes
d’eau. Il y avait 3 heures que nous étions en route; la faim nous
tiraillait l’estomac depuis longtemps , et nous pensions en frémissant
à nos trois guides q u i, malgré tous les fruits qu’ils avaient
mangés sur la route, paraissaient aussi affamés que nous. L ’un
de nous prétendit que les fruits que ces gaillards avaient mangés
le long du chemin, étaient pour eux autaut de verres d’ab-
synthe, etc ., etc. Je voulus lire un instant les livres que
j ’avais emportés, mais mon esprit était peu disposé à la poésie,
malgré tout le. pittoresque de la belle vallée de Deïneha.
Il faut dire aussi que chacun de nous était occupé à examiner les
sites qui variaient à chaque instant et nous arrachaient des exclamations
de surprise. Ensuite , plus tard , la faim avait pris toute
la place dans nos individus , et le proverbe dit vrai : Ventre affamé
n’a pas d’oreilles. On aurait pu me lire les plus beaux morceaux
de poésie, que je n’en pas aurais entendu un mot, tandis
que lemoindre morceau de je ne sais quoi de mangeable eût excité
tout mon intérêt.
Cependant nous arrivâmes. Nous étions rendus au Piha. Nous
fumes tous les trois assez étonnés, car ce site n’avait rien de bien
remarquable ; en route nous en avions vus dé dix fois plus jolis.
C’était tout bonnement une grande chaussée de prismes basaltiques
s’élevant d’une centaine de pieds ; sur la gauche était une
cascade tombant du sommet et arrivant en poussière après avoir
sauté de rocher en rocher, ou filtré à travers les mousses et les