Joseph vient me raconter une petite aventure qu’il ne
sera point inutile de rapporter ici, afin de mieux faire
connaître l’esprit de ces sauvages. Mon domestique
s’acheminaitvers le fond de la vallée; il portait dans un
panier différents objets d’échange, dans l’espoir de se
procurer quelques provis ions pour ma table. Un naturel
officieux qui avait remarqué tout ce que contenait de
précieux pour lui le havre-sac de Joseph, s’empressa
d’offrir ses services pour servir de guide à l’Européen;
mon maître d’hôtel accorde bientôt à son compagnon
assez de confiance pour lui faire porter son
panier. Le sauvage se charge avec plaisir de ce fardeau
, et tout va bien pendant quelque temps. Mais
bientôt le naturel, après s’être peu à peu éloigné le
plus possible du maître du panier, se met à fuir de
toute la vitesse de ses jambes, emportant avec lui
tout ce qui lui a été confié. En ce moment Joseph est
inspiré par une idée heureuse, il tire sa montre de
sa poche, 'et la tourne d’un air menaçant vers le
fuyard en lui montrant de l’autre côté les corvettes
qui se balencent sur leurs ancres. A ce geste, le sauvage
frappé de terreur s’arrête d’abord, puis il se
rapproche peu à peu de celui qu’il voulait voler, en
faisant des détours à peu près semblables à ceux que
fait un chien lorsque son maître le rappelle à lui
pour le corriger. Enfin, le naturel pose le panier
aux pieds de Joseph, mais en même temps il saisit
un rasoir et fuit de nouveau le plus rapidement possible;
mais celui-ci tient encore le terrible instrument
entre ses mains et reproduit ses menaces. Le sauvage
rapporte immédiatement le rasoir èt paraît tout
tremblant; enfin il demande à l’Européen un morceau
de biscuit qui lui est accordé. Ensuite il serre la
main de mon domestique et va immédiatement se baigner
dans le ruisseau voisin. Il est bon d’ajouter que
quelques instants avant de confier son panier au sauvage
, Joseph lui avait montré sa montre, le mouvement
que celui-ci avait appliqué sur l’oreille du sauvage
l’avait épouvanté. Sans doute, notre voleur
nouka-hivien avait cru que c’était un esprit ou un
dieu dont la puissance était au service du possesseur
de cet inoffensif instrument.
Quelques autres escroqueries avaient encore eu
lieu au profit des Nouka-Hiviens, et il est à peu près
sûr qu’il y aurait des méfaits plus graves, si notre séjour
devait se prolonger. Peut-être serons-nous obligés,
à la fin, d’avoir recours à des mesures de répression
violentes. Mais comme je désire avant tout que
notre visite ne devienne point fatale à ces malheureux
, j’ai déclaré hautement que chacun devait attentivement
veiller sur ses objets, attendu que mon
intention est de fermer les yeux sur tous les tours
d’escroquerie qui entrent si bien dans les moeurs de
ces sauvages, et que je ne veux sévir contre leurs
larcins, qu’autant qu’ils seraient accompagnés de
violences ou de mauvais traitements.
La Zélée reçoit la visite de plusieurs femmes dans
la soirée, mais pas une ne s’est rendue à bord de
Y Astrolabe. Ce dernier navire a été mis en interdit
par les Nouka-Hiviennes, dont les imprécations sont