Le corps du jeune Vavanoua était encore loin d’ètre tout couvert
de ces signes éminents de distinction. On remarquait à ses bras
un peu au-dessous del’épaule, de petites ligatures faites avec des
feuilles de palmier; il portait autour du bas de la jambe, un
peu au-dessous du tendon d’Achille, un petit chapelet de phalanges
de doigts humains sculptés â jour, qui constituent un des
principaux ornemens du costume des guerriers chez ces hommes
sauvages. Sa main droite était armée d’un de leurs petits casse-
têtes , et il portait nonchalamment dans l’autre un éventail en
feuille de palmier tressé en forme de natte; ce meuble paraît
aussi indispensable à l’accoutrement des gens de haute naissance
des deux sexes dans ces îles, qu’il l’est à la toilette complète d’une
beauté espagnole. Le manche de cet éventail était un morceau
de tibia humain sur lequel on avait sculpté une double figure de
leurs idoles. Il ne faut pas cependant juger trop sévèrement d’après
nos idées, un pareil emploi des débris de l’existence humaine
que nous sommes habitués à entourer d’un saint respect; car les
. Nouka-hiviens, quoique n’ayant qu’une idée très-confuse d’une
autre vie, conservent pieusement sous le foyer domestique, les dépouilles
mortelles de tous leurs parents, et les ossements qu’ils
emploient ainsi comme ornement, comme trophée, et qui servent
pour ainsi dire de jouet à l’enfance, sont ceux de leurs ennemis ,
tués pareux au péril de leur vie et que le droit public des nations
sauvages destine presque partout à être dévorés par le vainqueur.
A Nouka-Hiva, comme à Taïti, de pareils festins ont été de tous
temps fort rares; mais lè guerrier ne croit pas qu’il soit plus cruel
et plus barbare de se parer des dépouilles d’un ennemi, que de
tuer ce même ennemi à son corps défendant, chose permise par le
droit naturel des nations civilisées,__
Je ne restai que très-peu de temps chez Vavanoua; il était
près de midi quand nous arrivâmes, Matéomo et moi, au terme
de notre course qui était sa demeure. L’apparence de celle-ci était
on ne peut plus modeste, et elle n’offrait qu’une répétition de la.
précédente. Je reçus chez lui un accueil qui se ressentait du plaisir
qu’on avait à le revoir. Nous arrivâmes précisément à l’heure
où ils ont l’habitude de prendre un deleurs repas, avant l’heure
de la grande chaleur du jour, qu’ils consacrent généralement au
sommeil. On servit dans un grand bol en bois assez, grossier, une
pâte de fruits à peine fermentée de l’année précédente , que l’on
conserve avec soin dans des espèces de silos enveloppés dans des
feuilles de palmier, comme je l’avais déjà vu à Manga-Reva. On
versa dessus del eau et du lait de coco, et chacun se mit à puiser
avec les mains dans ce grand vase; on parut s’étonner de mon
refus de prendre part a ce festin. Dans un foyer en pierres au milieu
de la maison on avait fait cuire des bananes et quelques fruits
a pain, fort rares dans cette saison où la troisième récolte allait
finir. Je me régalai d’un de ces derniers fruits dont le goût ne
ressemble en rien à celui de leur pâte fermentée, et je lui trouvai
un gout délicat dont n’approchèrent jamais ceux que nous
avons fait cuire à bord. Le taro et la patate constituent, avec lui,
la base de leur nourriture presque toute végétale. Il est à remarquer
que ces insulaires, comme la plupart des Polynésiens , ne
font nullement usage du sel qui est regardé chez nous comme
un assaisonnement indispensable à la digestion , d’après l’ingénieuse
explication de quelques-uns de nos savants, et ils ne se
portent pas plus mal pour cela...
Pendant la nuit, il se passa a bord un événement qui fut pendant
longtemps le sujet de tous nos entretiens, et donna lieu à
une foule de conjectures. Malgré la grande surveillance que nous
ne cessions d’exercer, Matéomo mon tayo,qui depuis mon arrivée
ne me quittait pas plus que mon ombre , disparut pendant
la nuit, en laissant chez moi plusieurs objets que je lui avais
donnés et une partie de son accoutrement. Tout le monde lui avait
porté jusqu’alors un tel intérêt, que nous cherchâmes le lendemain
à pénétrer le motif de sa fuite. Je fus même jusque chez lui
pour le chercher. On l’aperçut dans le village; mais en nous