dents. J’avais invité M. Mills à venir déjeûner à bord
de XAstrolabe avec sa femme ; mais il vint seul. Je lui
donnai les quelques graines qui me restaient encore,
et qui parurent lui faire grand plaisir. Il m’offrit à
son tour quelques grains de verre provenant du massacre
de De Langle, qui lui avaient été donnés par
un homme encore vivant, et qui avait assisté à la
catastrophe.
M. Mills m’apprend que Maouna, chef de Nouka-Hiva^
l’avait accompagné de Tahou-ata à Raro-tonga. Ce
jeune homme avait passé quelque temps à la maison
des missions de Londres, et montrait de bonnes dispositions.
Il me confirma aussi ce que m’avait dit
Frazior du culte des dissidents, seulement il croit que
c’est à Taïti que le fondateur en a puisé les premières
idées, et qu’ensuite il s’aida des effets de la ventriloquie
dans laquelle il excellait, pour mieux persuader
les naturels. Quoi qu’il en soit, il m’assura
que ce culte s’était singulièrement étendu, et que
lui et ses confrères éprouvaient beaucoup plus de résistance
de la part de ces sectaires, que de la part de
ceux qui avaient conservé leurs croyances primitives,
croyances qui n’avaient au reste rien de positif.
Un grand naturel s’annonçant comme chef de Ma-
nono, arrive dans une belle pirogue avec dix autres
gaillards non moins vigoureux que lui. Je lui achète
pour la mission une belle pagaie bien sculptée. Après
avoir fait vendre sa marchandise par un commettant,
il reprend le chemin de son île. Cet homme avait
de ces belles nattes que les habitants fabriquent avec
une espèce de Phormium, et qu’ils tressent à la manière
de nos tapis veloutés. A Apia, les naturels y
mettaient des prix exagérés, et le chef de Manono ne
se montre pas moins exigeant, ce qui m’empêche
d’en acheter. Je crois du reste, que très-peu de personnes
ont pu s’en procurer. Pea en a de fort belles,
mais lorsqu’on les lui demande, il n’exige en retour
rien moins que des fusils ou des habits d’uniforme. Du
reste, ces nattes se font remarquer par la blancheur
et la finesse du fil, tout aussi bien que par leur tissage.
La pluie qui ne cesse point me retient encore à
bord, lorsque vers midi je vois arriver M. Lafond,
élève de première classe, n’ayant plus que son pantalon
; sa figure toute renversée présente surtout les
symptômes d’une violente impression. Il me raconte
qu il vient d etre la victime d’un guet-apens, et voici
comment l’affaire s’est passée.
M. Lafond désirant aller au village Falé-ata, était
aile chercher un guide au milieu du hameau occupé
par les dissidents et contigu au village d’Apia, dont il
n’est séparé que par une palissade : un naturel qui
déjà lui avait servi de guide plusieurs fois, s’offrit de
lui-même à l’accompagner et bientôt ils se mirent en
route. Le naturel ne tarda pas à conduire son compagnon
dans des lieux très-marécageux, ce qui déjà
donna des soupçons a M. Lafond 5 mais ce sauvage
fit tant de protestations d amitié, en lui indiquant
que le mauvais pas était très-court et que bientôt le
chemin serait bien plus praticable, que M. Lafond ne
fit plus d objections pour s’engager dans ces maré29.