mètres de terrain pour s’y procurer une existence pénible,
tandis qu’ici ils pourraient jeter la vie dans ces
solitudes, où ils trouveraient une nourriture facile et
abondante. Mais je ne doute pas que bientôt les
moyens de transport qui en se perfectionnant rapprochent
si puissamment les distances, ne fassent affluer
l’excès de nos populations sur les bienheureuses îles
de l’Océanie; la race blanche se substituera rapidement
à la race primitive, et dans quelques siècles
peut-être ces îles seront encore trop petites et trop peu
fécondes pour offrir de véritables ressources aux
nouveaux arrivés.
Deux naturels d’Apia qui m’accompagnent me
témoignent le désir de tirer un coup de fusil. Je
satisfais à leur demande; le but était une colombe,
et la justesse de leur tir atteste qu’en fort peu de
temps ces hommes deviendraient habiles à se servir
des armes à feu. La colombe est abattue, et par des
cris de joie d’enfant mes sauvages proclament leur
triomphe. Le chef Pea ne se soucie point de faire un
semblable essai. Mais il se montre content de voir
l’adresse de ses concitoyens. Il paraît bien plus désireux
de s’établir en permanence à ma table. Dans ce
dernier cas, le camarade fait exprès de laisser partir
toutes les pirogues, afin d’être reconduit avec pompe
dans un canot. Je lui fais signifier par Frazior que je
consens volontiers à lui donner à dîner, mais qu’en
même temps je le prie de s’arranger de manière à ce
que je n’aie pas ensuite besoin de le faire reconduire
à terre par les embarcations du bord. Du reste, malgre
ses promesses et mes cadeaux, il n’a pas eu encore
la générosité de m apporter un coco. Cet homme est
le type de la convoitise et de l’avidité la plus sordide.
J ’apprends même que pour satisfaire cet affreux penchant,
il a pousse la bassesse jusqu’à offrir ses femmes
à quelques officiers pour des fusils ou des habits.
Aussi tout cela me refroidit-il singulièrement à son
égard. Il m avait présenté son fils, grand garçon assez
bien tourné, et je l’avais une première fois invité
avec son pere ; mais par des motifs tout d’égoïsme,
il le décochait ensuite au capitaine Jacquinot quand il
mangeait chez moi, et par là il avait trouvé le moyen
de mettre deux râteliers à son service.
J apprends avec plaisir que les marchés sont très-
actifs et bien pourvus, aussi nous procurons-nous à
bon compte une grande quantité de cochons, ce qui,
pour nos équipages, est une provision précieuse, et je
ne regrette qu’une chose, c’est que les faibles dimensions
de nos corvettes ne nous permettent pas d’en
prendre un plus grand nombre. Je crains que mes
hommes ne rencontrent plus maintenant de semblables
aubaines, et dans notre passage à travers la
Mélanésie nous serons probablement réduits aux
vivres de campagne, et nous aurons à souffrir de la
privation de vivres frais. En attendant, mes matelots
mangent chaque jour des viandes fraîches , et il n’y a
pas la moindre trace de scorbut.
Pendant toute la journée la pluie ne cesse pas, et
je ne bouge pas de mon bord, d’autant plus que je
suis encore fatigué de mes courses des jours précé-
IV. • f
18?8.
Septembre.