1338. ce ne sojt l’essaim complet des jeunes beautés de l’île,
qui, fidèles à leurs anciennes coutumes, viennent
prendre nos navires à l’abordage. Pour éviter un
premier moment de désordre, qui ne pouvait
manquer de suivre une invasion si extraordinaire,
je donne l’ordre de hisser les filets d’abordage.
Moins réservées que les hommes, les femmes accostent
les corvettes, et s’accrochent à tout ce qui peut
faciliter l’escalade. En un moment elles arrivent
sur les bastingages, mais là elles trouvent les filets-
solidement tendus , qui leur opposent un obstacle
qu’elles n’osent point franchir. Toutefois, elles auraient
certainement essayé de le surmonter, si on ne
leur eût fait signe qu’elles devaient rester tranquilles.
Pour consoler ces pauvres créatures, je leur fais dire
qu’à la nuit je les laisserai pénétrer dans le navire,
et dès ce moment elles restent paisiblement debout,
causant entre elles, et formant tout autour des corvettes
une ceinture vivante d’un effet aussi bizarre
pi. x l i . que nouveau.
La plupart de ces filles ont de douzé à dix—huit
ans, mais quelques-unes sont beaucoup plus jeunes
et n’annoncent guère plus de huit à dix ans. Toutes
sont à l’état de nature ; elles n’ont d’autre vêtement
que le ceinturon étroit qui leur entoure les reins.
Elles sont généralement plus blanches que dans les
autres archipels de l’Océanie. Avec des mains et des
pieds bien tournés, une gorge bien placée, des yeux
vifs et expressifs, plusieurs ont encore des minois
assez agréables, et quelques - unes même peuvent
passer pour gentilles. Toutefois, je ne trouve point là
ces beautés remarquables et ces nymphes délicieuses
dont plusieurs navigateurs et surtout Porter et Paul-
ding font des descriptions si pompeuses.
On dira, il est vrai, que je ne puis être pour elles
qu’un juge bien sévère, avec mes idées taciturnes et
ma santé peu florissante; mais il en est autrement pour
ces jeunes officiers et ces ardents marins, pour qui la
relâche de Manga-Reva n’a fait qu’ajouter aux privations
de deux mois de traversée. Aussi la vue de ces
beautés toutes nues, qui sont là étalant leurs charmes
sous toutes les formes et semblant les provoquer du
geste et du regard, leur cause de bien fréquentes distractions.
Toutefois, je dois dire à leur louange qu’ils
sont patients et raisonnables. Les travaux s’exécutent
paisiblement, et l’heure désirée est attendue, sinon
avec patience, du moins sans murmures et sans
aucune infraction à la discipline.
Ce soir, à 6 heures, le coup de canon de retraite sera
tiré par Y Astrolabe, et aussitôt les filets d’abordage s’a-
baisseront. Sans doute je dois m’attendre à quelques
reproches de la part des esprits sévères, qui ne voudraient
voir là qu’un acte de faiblesse ou de condescendance
coupable de ma part; mais c’est après de
mûres réflexions que je crois qu’une liberté entière
est encore le moyen le plus sûr de prévenir les désordres.
Si j’avais cherché à isoler mes matelots à bord,
ils eussent constamment été entraînés vers la terre où
les conviaient les plaisirs, je les aurais volontairement
exposés aux infractions les plus graves à la discipline