Nous allons ensuite visiter les ruines de cette grande
église qui, en 1823, réunit l’assemblée générale de
tous les habitants du groupe. Les députés nombreux
envoyés par la nation eurent à délibérer sur la quantité
de cocos et de bambous d’huile qui devaient être
donnés comme offrandes à la société des missions.
C’était le moment du triomphe des missionnaires. La
famille royale, les principaux chefs de Taïti et tout le
peuple votèrent par acclamations de grandes richesses
pour leurs nouveaux prêtres. Aujourd’hui tout est bien
changé, ceux-ci sont honnis, souvent méprisés, et contrôlés
dans leurs actions. Pour comble de malheur, on
essaie de supprimer les dignités qui ont fait l’élévation
des missionnaires, qui par leur dépit et leur orgueil, se
sont déconsidérés aux yeux des naturels. Vainement
plus tard ces députés choisis par leurs concitoyens ont-
ils cherché à se réunir. Cette immense construction
de 230 mètres de long, fruit du zèle et de l’enthousiasme
des fidèles taïtiens, a été entièrement abandonnée,
et bientôt il n’en restera plus qu’un informe amas
de décombres. Sic transit gloria mundi. L’église du
lieu, construite sur des dimensions bien plus raisonnables
à côté de ce temple gigantesque qui tombe
de lui-même, atteste le refroidissement des habitants
pour leur nouveau culte ; la cour a abandonné
cette ancienne résidence pour aller se fixer à Papeïti.
Des clôtures mal entretenues autour de quelques
pierres entassées, indiquent seules l’emplacement de
quelques tombes, aujourd’hui entièrement négligées.
C’est avec un sentiment douloureux que l’on voit
ces Taïtiens, jadis scrupuleux observateurs des devoirs
dus aux mânes de leurs pères et à qui ils rendaient
un culte presque divin, rester aujourd’hui si
indifférents à cet égard, par le seul fait qu’ils ont
adopté d’autres croyances. A mon avis, cette transition
subite d’un excès à un autre, a quelque chose
d’affligeant et dénote plutôt un retour à la barbarie,
qu’un progrès dans la civilisation.
Nous allons ensuite saluer le prêtre de l’endroit,
M. Rodgerson, qui habite tout près de là une case
petite, il est vrai, mais propre et bien tenue. Il paraît
heureux dans son petit ménage, composé d’une
femme jeune et agréable, et de deux jolis petits
enfants, dont l’avenir semble le préoccuper beaucoup.
On ne peut s’empêcher de réfléchir en effet,
que si cette liberté qu’ont les prêtres de l’église
réformée de pouvoir devenir chefs de famille peut
être d’un bon exemple au milieu des nations civilisées,
elle peut aussi devenir la source de tous les
vices au milieu d’un peuple sauvage. Un missionnaire,
toujours préoccupé du sort de sa famille,
n’est-il pas en effet pour ainsi dire responsable de
toutes les fautes que peuvent commettre les siens,
les passions humaines réagissant sur ses enfants ne
tendron Uelles point à leur faire oublier leur devoir,
ou tout au moins à compromettre le caractère du
père? Car il est à remarquer que tout en prêchant
1 égalité et la charité évangélique, le missionnaire
européen n’envisage pas avec sang-froid l’idée d’une
union possible entre ses enfants et les indigènes. Il