attendu qu’ils sont nombreux, aguerris, éloignés de
près de deux lieues de nos corvettes et que nous
n’avons aucune connaissance des localités. Enfin je
fais remarquer à ces messieurs qu’au moins avant
d’agir je dois m’assurer de la vérité d’un fait qui ne
me paraît pas encore parfaitement confirmé, que
meme, au cas où il le serait, il faudrait donner à
plusieurs de nos hommes qui étaient encore à terre
le temps de rallier les corvettes, et que jusque-là
nous devions agir envers la population de la vallée
comme si aucun soupçon ne pouvait peser sur
elle.
Toutefois, par mesure de précaution , j’expédiai
un canot à la plage, pOur recueillir tous les Français
qui se trouvaient encore à terre. J’envoyai Moken dire
aux habitants de la vallée que je les croyais incapables
d’avoir participé au forfait des Hapas, et qu’en
conséquence ils n’avaient rien à craindre de ma part.
Je l’engagai à déclarer à Patini que je la regardais particulièrement
comme l’amie des Français, et qu’elle
pouvait compter en toute sûreté sur notre protection
de quelque manière que puissent tourner les événements.
Que si la guerre venait à éclater, j ’établirais
un poste fortifié près d’elle, et que je la protégerais
si, par suite de son amitié pour les Français, ses
ennemis cherchaient à lui faire violence. Pour le
moment je priais seulement Patini de faire recueillir
tous les détails de ce triste événement, et de
vouloir bien déclarer de ma part aux Hapas, qu’il
me fallait immédiatement les deux corps des victimes
morts ou vifs, que j’allais embosser mes deux navires
devant la vallée des Hapas, et que tout y serait
mis à feu et à sang pour venger l’atentat commis
par cette tribu.
Cette déclaration semble enchanter l’équipage, et
cependant en cas de guerre, je ne prévoyais pour
nous que des résultats désastreux. Toutefois, tous
nos marins réclament à l’envi la faveur de se
trouver parmi les combattants, la perspective d’une
guerre avec les sauvages sourit à leur imagination.
J’étais loin de partager leur enthousiasme ; cette
affaire me tombait fort mal à propos sur les bras, et
quand même elle aurait dû se terminer le plus glorieusement
possible pour nous, elle ne pouvait servir en
aucune manière les intérêts de la mission. Je devais
au moins compter sur quelques blessés, et l’extermination
entière des Hapas ne pouvait compenser
quelques-uns de nos hommes mis hors de combat.
Une pensée triste me dominait. J’étais donc venu
dans cette île pour apporter à ses habitants la mort
et la désolation. Aussi je maudissais intérieurement
la curiosité de M. Le Guillou, qu’aucun motif raisonnable
n’appelait chez les Hapas, et les fâcheux
résultats de cette visite. Toutefois , un pareil attentat
demandait une repression sévère, et pour l’honneur
du pavillon français, je ne voulais point le laisser
impuni.
Tout à bord prend bientôt un aspect belliqueux,
on s’apprête, et chacun prépare ses armes. Tous les
habitants de la vallée sont en mouvement; partout