la satisfaction que lui causait notre présence. Il témoigna surtout
une joie bien vive, lorsque je lui annonçai que M. Dubouzet lui
apporterait le lendemain une lettre de sa femme.
Sur de fausses nouvelles qui dernièrement étaient venues à sa
connaissance, le général Freire avait arrêté son passage sur un
navire baleinier qui faisait route pour le Chili. Il était sur le
point de partir lorsque d’autres lettres vinrent détruire ses
espérances de rallier sa famille, et le forcèrent à reprendre
ses chaînes. Encore dans la force de l’âge, jouissant d’une bonne
santé, il nous parut calme, et supporter avec résignation le sort
que lui ont imposé ses compatriotes. Il a heureusement trouvé
dans M. Moerenhout un ami dont la société lui est très-agréable,
et qui a pour lui tous les égards et toute la bienveillance possibles.....
Dans la journée du 11 , nous travaillâmes à remplacer l’eau
qui nous manquait. Notre canot major ayant été sur le soir
prendre quelques officiers qui se trouvaient à terre, et l'homme
de gardeayant un instant abandonné cette embarcation, quelques
naturels qui se trouvaient sur la plage saisirent cette circonstance
avec promptitude, et dérobèrent les deux tapis. Nous en
portâmes immédiatement plainte à M. PFilson, qui sur-le-champ
mit ses alguasils sur la piste des voleurs.
Le i4, M. Pritchard me quitta sur les dix heures, n’ayant pu
contenir la satisfaction qu’il éprouva en apprenant que les deux
corvettes reprenaient la mer le surlendemain. Peu après son
départ, je fus prévenu que les tapis d’embarcation qui nous
avaient été dérobés étaient retrouvés. Les voleurs soupçonnés,
après avoir été soumis à une espèce de torture, qui consiste à
leur serrer le ventre de plus en plus avec une corde jusqu’à
laveu de la faute, avaient tout confessé et restitué les objets.
Ayant fait demander au missionnaire de Matavai si. nous étions
redevables de quelque somme pour les frais de poursuite , il me
fit répondre qu a 'l'aïli la coutume était de tout faire payer par
les voleurs, qui, outre la punition déjà subie,seraient condamnés
à une amende de dix cochons. Nous n’eûmes qu’à nous louer des
peines et des démarches de M. Wilson dans cette circonstance.
Il y allait du reste de son amoui’-propre à nous .prouver qu’il
pouvait bien se glisser des brebis galeuses dans son troupeau,
mais qu’elles étaient connues , et que la justice savait les trouver
et les frapper.
A quatre heures du soir, le chef de Matavai, Pewewe, vin t à bord
avec sa femme et sa fille, et accompagné de trois autres naturels,
qu’il me présenta comme étant également des chefs ; la table était
dressée pour mon dîner; je les invitai à y prendre part, et ma proposition
fut acceptée avec,un grand empressement. Si l’on doit se
féliciter de l’appétit que montrent les convives, je dus être extrêmement
heureux dans . cette circonstance ; car , pendant une
heure, ils, dévorèrent tout ce qu’on leur présenta, s’administrant
a chaque instant de nombreuses et copieuses libations de vin,
auxquelles participaient également les deux femmes. Après le
repas ils demandèrent du rhum et en eurent épuisé une bouteille
dans l’espace de quelques minutes. Comme ils commençaient
alors à s’échauffer, je refusai positivement de leur en faire donner
une seconde qu’ils réclamaient avec instance, et je les congédiai:,
toute la bande ayant peine à se soutenir sur les jambes, et peu de
chose de plus devant suffire pour les faire tomber dans , une
ivresse complète. J’appris plus tard que la jeune femme que le
chef m’avait présentée comme sa fille , et elle l’était réellement,
était chaque: soir proposée par lui-même et vendue pour les
plaisirs des officiers et même des matelots ; il ne faisait en cela, du
reste, que le métier que font aujourd’hui tous les autres, rien ne
lui coûtant pour se procurer quelque pièce de monnaie;
(J/. Jacquinot.')