oublieux des devoirs que lui imposait l'humanité,
il s était immiscé, sans motif aucun, dans les guerres
intestines qui déchirent ces malheureux peuples. Il
avait pu aider de ses armes et de son vaisseau les vengeances
de ces insulaires, et même il n’avait pas reculé
devant une scène de cannibalisme en autorisant
à bord de son navire un de ces horribles repas. Si
après le passage de la Joséphine, les naturels des îles
Dateoa ou Sama-Sama étaient parvenus à enlever un
navire en en massacrant l’équipage, la justification
d’un tel crime serait devenue évidente par la conduite
antérieure du capitaine Bureau. Ces sauvages en effet
confondent dans une même haine tous les Européens,
quand ils ont à s’en plaindre \ pour eux un
simple pavillon n’est point toujours un signe distinctif
de la nationalité, et je ne doute pas que l’on ne puisse
retrouver dans les crimes odieux dont, sans motifs,
nos capitaines marchands se sont souvent rendus
coupables, la cause de la plupart des massacres qui
déjà ont si souvent ensanglanté ces îles.
Quoi qu il en soit, la conduite de Nakalassé dans
cette circonstance, avait été horrible, il s’était servi
de Bureau pour détruire ses ennemis, et ensuite exploitant
la confiance qu’il avait inspirée à ce malheureux
capitaine, c’était en lui prodiguant toutes les
marques de l’amitié, qu’il l’avait massacré. L’honneur
du pavillon français comme aussi la sécurité de notre
commerce exigeaient dans ces îles une vengeance
éclatante.
En arrivant au mouillage, Latchika me conseillait
d’arborer un pavillon étranger, il m’assurait que Nakalassé
qui passe pour être un des chefs les plus
avides, trompé par ce signe extérieur, serait le premier
à accoster nos corvettes, et qu’alors il serait facile
de s’assurer de sa personne. Bien que parmi ces
peuples, toute espèce de ruse qui peut jeter un ennemi
dans un guet-apens , est considérée comme de
bonne guerre, cependant le moyen qui m’était proposé
répugnait et à ma conscience comme homme et
à mon honneur comme représentant de la France.
Bien qu’il m’eût été agréable de me saisir de Nakalassé,
et de pouvoir, par une punition exemplaire infligée
à ce coupable seul, éviter la ruine peut-être
complète d’une tribu entière, cependant nos corvettes
laissèrent tomber leurs ancres sans qu’aucune
couleur flottât sur leur arrière.
Aucune pirogue ne vient le long du b ord, on
dirait que toutes ces terres sont abandonnées ou inhabitées,
et de distance en distance on aperçoit des
villages qui paraissent considérables. Parmi ceux-
ci, se distingue celui de Pao, assis sur une petite île
de même nom ; il paraît peu ombragé, quelques
milles seulement le séparent de Piva. C’est à Pao que
réside le roi Tanoa, qui m’est désigné comme ennemi
de Nakalassé. Non loin de nous, et à deux milles
environ de Pao, nous remarquons une grande case
bâtie sur pilotis et sur les récifs ; c’est une espèce de
citadelle ou magasin général qui appartient à Tanoa.
En cas de guerre, au moment des désastres, le roi s’y
réfugie avec son peuple : c’est une retraite assurée,