Pl. LXXI.
ne le satisfait pas, mais comme il commençe à devenir
importun, je prends un air mécontent, et je
charge Frazior de lui expliquer de ma part que si je
coupais du bois qui pût appartenir soit à lu i, soit à
d’autres, je l’en dédommagerais par des étoffés, mais
que quant à l’eau, elle appartenait à tous ceux qui en
avaient besoin, et que je ne lui donnerais pas un seul
shilling pour cela. Puis, en lui montrant la batterie
de la corvette, j’ajoute que s’il exigeait impérieusement
d’être payé, nos canons seraient chargés d’acquitter
le prix qu’il demanderait.
A cette sortie, le pauvre Pea tout effrayé, s’empresse
de s’excuser autant qu’il lui est possible,
m’annonçant qu’il renonce entièrement à ses prétentions,
il me supplie de ne pas me fâcher contre lui.
Au fond, je n’ai pas la moindre colère contre cet
homme; car il n’est pas pour grand chose dans cette
mauvaise farce, il est tout au plus l’instrument des
missionnaires. Tant il est vrai que chez ces derniers,
l’argent est toujours le premier mobile de leurs actions,
et qu’ils abusent de la religion et de la philanthropie
dont ils se font un prétexte.
Après notre dîner, le capitaine Jacquinot se joint
à moi, et en compagnie de l’ami Pea, nous descendons
au fond de la baie. Nous trouvons les cases du
petit village d’Apia éparpillées sans aucun ordre,
sous de belles touffes de cocotiers. Nous visitons d’abord
le Faré-tete ou maison publique. C’est un grand
édifice construit avec une élégance et une légèreté
vraiment admirables. Bien qu’il soit tout en bois, et
recouvert d’un simple toit en paille, sa construction
est vraiment un chef-d’oeuvre d’industrie sauvage ,
et tout l’intérieur est d’une propreté remarquable. Le
sol est couvert de petits cailloux qui paraissent si
unis et si bien nettoyés que l’on dirait qu’ils ont été
triés à la main.
De là, nous nous dirigeons chez le missionnaire
M. Mills, qui habite une petite case assez modeste,
quoiqu’elle soit intérieurement disposée d’une manière
assez confortable. Les naturels qu’il guide
dans ces travaux (ayant été lui-même charpentier)
travaillent avec une ardeur incroyable à lui construire
une demeure qui sera un petit palais pour
ces îles, car le corps de maison sera double, et
il n’y aura pas moins de douze fenêtres et plusieurs
portes.^
M. Mills est un homme maigre et d’une apparence
assez ehétive ; il nous reçoit poliment et s’offre de répondre
à toutes nos questions. Comme il ne sait pas
un seul mot de français, nous aurions eu peut-être
de la peine à nous entendre, si madame Mills,
femme assez jeune, d’une figure intelligente et agréable,
malgré son état de santé qui paraît peu rassurant,
ne se fût empressée de répondre à toutes
les questions que nous adressions à son mari. Il m’a
semblé que cette dame jouissait parmi les naturels
de plus de considération que son époux.
Dans ma conversation avec madame Mills, je lui
fais observer que Pea m’avait présenté un papier en
me réclamant des dollars, que je n ’y avais fait aucune