122 VOYAGE
refit pour raison que leur baleinière, par sa construction,
était trop difficile à réparer lorsqu’elle avait des
avaries. Peut-être n’était-ce point le véritable motif,
et étaient-ils bien aises de faire disparaître cette embarcation
de ces îles.
Toute la journée je me trouve mal à mon aise et je
ne bouge du bord que le soir pour aller prendre mon
bain habituel. J’ai beaucoup de peine à éviter Pea qui
me guette au débarquement, pour m’adresser quelques
demandes ; c’est le mendiant le plus effronté qui
puisse exister, et il surpasse encore Pewe-we, l’ignoble
chef de Matavaï.
M. Dumoutier avait pu réussir à mouler quelques
têtes de chefs, il avait même conçu l’espoir de se procurer
quelques crânes, au moyen d’un des déserteurs
européens qui avait promis de l’aider dans ses recherches.
Mais il paraît que son projet fut éventé, et
dès-lors les naturels firent si bonne garde que le pauvre
M. Dumoutier les trouva constamment sur ses pas
dans chaque tentative qu’il fit pour avoir ces précieux
objets, et il fallut y renoncer.
Comme je dois partir le jour suivant, je vais faire
mes adieux à M. Mills et le remercier des documents
qu’à ma prière il a fournis à M. Desgraz. Il avait donné
en effet à mon secrétaire plusieurs livres imprimés en
langue du pays, et un petit vocabulaire encore manuscrit
qui devenait pour moi d’un grand intérêt, attendu
que, malgré tous mes soins, il m’eût été impossible
de me procurer rien de satisfaisant sur le langage
des Samoa, durant un séjour aussi limité.
M. Mills avait encore recommandé à M. Desgraz une
lettre qu'il envoyait au missionnaire de Laguemba,
dans l’archipel Viti.
En quittant Apia, j’emportais l’idée satisfaisante
d’avoir complètement rempli le but que je m’étais proposé.
Le plan du port était terminé, nous avions pu
observer les habitants de ces îles encore si peu connues,
et une belle collection avait été recueillie dans
toutes les branches de l’histoire naturelle. Les observations
de physique et de magnétisme y étaient importantes,
et enfin j’avais acquis des notions précises sur
la langue de ces peuples, qui était totalement inconnue,
et qui diffère du reste de la Polynésie. Je me
félicitais surtout qu’une station aussi courte ait pu
nous laisser des résultats aussi importants.
Avant de quitter probablement pour toujours cette
peuplade intéressante, je récapitulerai en peu de mots
ce que j ’ai observé à l’égard de ces insulaires. Les
hommes sont en général grands et bienfaits, ils paraissent
vigoureux et hardis. Lors de leur premier
état sauvage, ce devait être une race dangereuse;
toutefois, sur ces physionomies ouvertes et décidées,
on remarque quelquefois des dispositions bienveillantes,
et elles rappellent ce caractère grand et sérieux
propre à la race Tonga.
Aucun des deux sexes n’avait la figure tatouée;
mais les hommes comme les femmes avaient les
cuisses couvertes de tatouage. Leur corps est fréquemment
tatoué par des plaies et dès cicatrices qui
s’accordent mal avec la réputation qu’on leur a faite