petits Noirs comme le prolongement vers le nord-ouest de la race Nègre orientale ou Mélanésienne, que
l’on avait depuis longtemps désignée sous le nom de Papoua,
Earl a plus que tout autre contribué à faire prévaloir cette théorie, que l’on trouve indiquée déjà dans
Desmoulins et quelques autres auteurs. L’ethnôlogiste anglais a suivi l’extension géographique des Nègres,
qu’il embrasse sous le nom commun de Papouas(l) depuis le coeur de la Mélanésie jusqu’aux îles Andaman,
dans le golfe du Bengale. 11 n’a malheureusement pas étudié personnellement les Negritos del monté, et il
est-aisé de reconnaître par la comparaison des descriptions qu’il emprunte à ses prédécesseurs avec les
siennes propres, que son groupe Papoua renferme des Nègres de plusieurs types.
Crawfurd sentit le premier la nécessité de dédoubler cet ensemble hétérogène, et proposa, en 1847,
non sans quelque hésitation, de considérer comme une race à part : « les Nègres des îles Andaman, probablement
ceux des Nicobar, ceux de la Péninsule Malaise, et des îles Philippines, et en général tous les
Nègres au nord de l’Équateur (2). »
L’opinion de Crawfurd reposait sur un ensemble d’observations ethnographiques, recueillies principalement
par Symes, Colebrooke, Choris, Mallat, Macinnes, etc. (3). L’un de nous, coordonnant les mêmes
informations auxquelles étaient venues se joindre celles de J. Itier, de la Gironière (4), de Logan, d’Anderson
(5), etc., a formulé, en .1862 (6), des conclusions toutes semblables, que les documents rapportés
par MM. Mouat, Ch. Smith, Tytler, Meyer, etc., sont venus confirmer complètement.
M. R. Owen a publié en 1861 la description du squelette d’un insulaire des îles Andaman (7), dont iffi
a montré la ressemblance en ce qui concerne le crâne avec les aborigènes des Philippines. M. Prüner-
Bey est arrivé à un résultat identique, en étudiant les Mincopies et les Aëtas de notre Muséum (8).
M. Busk a depuis décrit deux crânes d'Andamans, M. B. Davis, deux crânes.d’insulaires de Panay (9),
M. Sehetelig a fait connaître deux crânes de Négritos de Formose(lO), M. Virchow a exposé rapidement
quelques-uns des caractères anatomiques des tètes rapportées des Philippines par MM. Jager, Sehetelig
et Meyer (11). Enfin l’un des auteurs de cet ouvrage a suivi.le type négrito jusqu’au Japon au nord (12),
jusqu’à Timor au-tud (13), et groupé, dans une communication encore inédite présentée au Congrès de
géographie de Paris, tous les documents relatifs à son existence dans l’intérieur de l’Inde (14).
Antérieurement son collaborateur avait cherché à coordonner les principaux matériaux connus sur les
(I) G W. Earl. The native races of the Indian Archipelago. Papuas (The Ethnolog. libr. conducted by Norris, vol. I). London, 1853,
in-8°. — Cf. A. de Quatrefages (Joum. des sav., oct. et déc., 1872).
. (2) J. Crawfurd. On the Malayan and Polynesian languages and races (Journ. of the Elhnol. Soc. of London, vol. I, p. 334, 1848).
(3) Symes. Op. cit., trad. fr. Paris, 1800,1.1, p. 241. — Colebrooke. On the Andaman Islands (Asiatic Researches, vol. IV, 1798, in-40,
■ p. 385). — Choris. Voyage pittoresque autour du monde, VIe livr., pi. IV, 1820, in-C®. Paris. — Crawfurd. History of the Indian Archipelago,
vol. I, p. 23. Edinburgh, 1820, in-8®.— Mallat. Les Philippines. Paris, 1846, in-8°, t. II, ch. ii.
(4) J. Itier. Fragment d’un journal de voyage aux ties Philippines (Bull. soc. Géogr. 3® sér., t. V, 1846, p. 376). — De la Gironière.
Vingt ans aux Philippines. Paris, 1853, in-12, p. 306-310.
(5) Journ. of the Indian Archipelago and Eastern Asia, vol. I ll, IV, etc. Singapore, in-8°, 1847, 1848, etc.
. (6) A. de Quatrefages. Cours d’Anthropologie du Muséum. Nègres Asiatiques et Mélanésiens, br. in-8, extr. de la Gazette médicale, de
Paris, 1862.
(7) R. Owen. Op. cit., br. in-8, avec 2 pl.extr. des Rep. of the British Associât, for 1861. — Cf. Id. On the Osteology and Dentition of
the Aborigines of the Andaman Islands (Transact. of the Ethnolog. Soc. of London. New series, vol. II, p. 34, 1863.
.(8) Pruner-Bey. Sur les crânes des Mincopies (Bull. Soc. d’Anthrop. de Paris, 2® sér., t. I, p. 12,1866).
(9) B. Davis. Thesaurus Craniqrum, p. 300-302 et fig. 84. — G. Busk. Description of two Andamanese Skulls (Transact, of the Ethnol.
Soc. of London, new series, vol. IV, p. 205,1866, in-8°).
;(10) Schetelig. On the Natives of Formosa (ibid., vol. VII, p. 224,-1869).
(II) R. Virchow. Ueberdie Schädel der Älteren Bevölkerung der Philippinen (Zeitschr. für Ethnol. Bd. II, S. 151,1.870). -i—Id. Ueber den
Schädelbau der Bewohner der Philippinen, insbesondere der Negritos (Verhandl^der Berlin, Gesellsch. für Anthrop. 1870-71. Berlin, 1871,
in-8°, S. 33-42. — Id. Ueber Negrito-und Igorroten Schädel von den Philippinen (ibid., 1871-1872. Berlin, 1872, S. 204p' • ■-
_ (12) E. T. H amy. Les Négritos à Formose et dans VArchipel Japonais (Bull. Soc. d’Anthrop. de Pains, 2® série, t. VII, p. 843,1872).
(13) Id. Nouveaux documents pour servir à l’Anthropologie de Vile de Timor (Nouv, Arch, du Mus. d’Hist. nat. de Paris, t. X, 1874).
(14) Id. Les Négritos dans l'Inde (Gongr. internat, des sciences géographiques. Paris.. 1875, sous presse),
petits Nègres et à synthétiser l’histoire de cette race. A la suite d'’une étude détaillée des Mincopies (1),
il avait montré qu’elle est une branche du tronc nègre, et se divise en deux rameaux, l’un occidental
(Aëtas, Mincopies, Semangs, etc.), l'autre oriental, ayant son centre principal vers la Nouvelle-Guinée.
Nous allons étudier la crâniologie de ces deux races secondaires dans ce chapitre et le suivant.
§ 2 . — D e s c r ip tio n .
Ainsi que nous l’avons précédemment annoncé, nous commençons la crâniographie de la race Négrito
par celle des Aëtas, Aïtas ou Ajetas de l’intérieur de Luçon, qui en forment aujourd’hui le principal
noyau. La description que nous allons donner repose sur l’examen direct de six têtes, deux empruntées
aux collections du Musée des Chirurgiens de Londres, les quatre autres appartenant au Muséum d’histoire
naturelle de Paris et sur leur comparaison avec les pièces publiées par les auteurs anglais et allemands
que nous venons de citer.
Crâne d ’aéta ancien d’une caverne de Manille (fig. 19$). — Des quatre crânes Aëtas de notre galerie,
trois sont, comme ceux de Londres, de date récente. Le quatrième, au contraire, est ancien, et c’est par
lui que nous croyons devoir commencer notre examen. Rapporté en Europe par une de nos premières expéditions
scientifiques, il aurait été trouvé, suivant une note qui nous est restée, dans une caverne à Manille.
Cette tête, réduite à son crâne un peu endommagé vers sa base, est d'une ossature sèche et fine. Elle a
appartenu à un sujet masculin que l’état de son ossification permet de supposer assez avancé en âge, la
sagittale et lacoronale étant entièrement fermées, et la première de ces sutures commençant à s’effacer
en de nombreux petits points répartis assez également sur toute son étendue. La suture lambdoïde est
entièrement libre, sauf sur une longueur d’un peu plus de deux centimètres au-dessous de l’angle latéral
droit de l'écaille.
Serres, qui avait négligé l’étude de cette pièce et d’un certain nombre d’autres de même forme générale,
déposées dès lors dans les collections qu’il administrait, croyait pouvoir exprimer l’opinion que rallongement
du diamètre antéro-postérieur, est un des caractères propres aux races nègres. On peut même dire
que cette opinion était généralement admise, toutefois l’un de nous dans son enseignement oral, M. Vogt
dans une publication déjà ancienne (2) et plus tard M. Pruner-Bey (3) avaient montré que cette généralisation
n’était rien moins que fondée. Le crâne que nous étudions, et un bon nombre de ceux dont la
description suit, justifieront cette manière de voir et l’étendront encore. L’indice céphalique de l’Aëta
ancien est 80, H, il est par conséquent sous-brachycéphale. Son diamètre antéro-postérieur maximum
descendant à 0,171, pendant que le transverse maximum se maintient à 0,137.
Le crâne est petit, sa circonférence horizontale n’est que de 0m,488, et sa capacité approche seulement
de 1380 cent, cubes. Cette diminution générale de volume porte moins sur la moitié antérieure du
crâne que sur la postérieure. Les demi-circonférences verticale et horizontale antérieures, comparées aux
circonférences totales correspondantes, offrent des rapports supérieurs à ceux que donnent les crânes de
notre pays, 45,28 pour la première, au lieu de 44,90 et 47,13 pour là seconde, au lieu de 46,80. Malgré
le faible volume du crâné, la longueur totale du frontal (courbe frontale totale), atteint 0m, 126. Son profil
à peu près régulier monte presque sans changement de courbure des arcs surciliers petits, mais à relief
demi-circulaire bien dessiné, au bregma situé à 0m,132 au-dessus du bord antérieur du trou occipital (diamètre
basilo-bregmatique), et plus élevé par conséquent de plus d’un centimètre que les crânes français, qui
nous servent de point de comparaison. Les bosses frontales sont peu indiquées. On observe cependantlelong
(î) A. de Quatrefages. Étude sur les Mincopies et la race Négrito en général (Rev. d’Anthrop., 1.1, p. 37V78,193-249, 1872), . •
(2) Carl Vogt. Zoologische Briefe, t. II, p. 559, 1851.
(3' Pruner-Bey. Résultat de crâniométrie, tableau I (Mém. Soc.. d’Anthrop. de Paris, t. II, p. 417,1865.)