Nous en avons dit assez pour démontrer la permanence du type ethnique de Cro-Magnon réapparaissant
chez nous par voie d’atavisme et conservé à l’état plus ou moins pur chez certaines populations
méridionales dont les plus caractérisées sont depuis longtemps réunies par les ethnologistes sous le nom
d’Atlantes. Les naturalistes qui ont fait de la paléontologie quaternaire une étude quelque peu attentive,
ne s’étonneront pas de voir retrouver vers le sud, l’un des types humains qui caractérisèrent chez nous
cette période géologique. En réalité, il n’y a, dans ce fait, que la répétition de ce qui s’est passé chez les
mammifères en particulier.
En effet, depuis les belles études d’Édouard Lartet sur ces questions, on sait que l’ensemble des espèces
qui formaient notre faune mammologique à l’époque glaciaire peut se décomposer en groupes
distincts qui, après avoir longtemps vécu côte à côte, se sont séparés à l’aurore de la période actuelle (I).
On sait que l’un de ces groupes se compose d’espèces jadis européennes, aujourd’hui presque exclusivement
africaines. De quelque façon que l’on explique l’ancien mélange des faunes et le départ qui les a
isolées, il n’y a rien d’étrange à voir les populations humaines présenter un fait analogue. De quelque
façon que l’on explique là présence en Europe aux temps postpliocènes de l’éléphant d’Afrique, d’un
rhinocéros voisin de celui du Cap, de l’hippopotame, du lion, des hyènes, des antilopes, etc., il n’y a rien
que de très-naturel à trouver à côté de ces espèces méridionales une race humaine ayant alors son foyer
principal au sud de notre Méditerranée, mais ayant multiplié ses stations dans presque toute l’Europe
occidentale alors habitable. Cela même explique bien naturellement la présence actuelle à l’état erratique
en Europe du type de Cro-Magnon et son existence, plus fréquente, plus franchement accusée
dans le nord-ouest de l’Afrique, et'surtout dans les îles, où il s’est trouvé plus à l’abri des métissages.
C hapitre IV . — R ages de F urfooz, de la T rüchêre, etc.
§ 1. — Historique.
Nous réunissons dans, le même chapitre l’étude des crânes plus ou moins brachycéphales ou mésaticé-
phales, découverts dans des dépôts antérieurs à la période géologique actuelle. Des diverses pièces qui
rentrent dans le groupe que nous constituons ainsi, les unes sont contemporaines des races dolichocéphales
qui viennent d’être décrites, les autres leur sont postérieures, mais aucune n’a été rencontrée dans un
dépôt quaternaire plus ancien que ceux qui contiennent notre race de Canstadt.
La question, si longtemps débattue, de la préexistence des brachycéphales en Europe se trouve donc
tranchée négativement. Un court historique des discussions auxquelles elle a donné lieu, nous paraît
devoir former une introduction toute naturelle à la description des documents crâniologiques qui vont
former ce quatrième et dernier chapitre delà Paléontologie humaine.
La paternité de la théorie des brachycéphales anciens dEurope appartient tout à la fois à M. Nils-
son, à Esçhricht et à Retzius.
La linguistique qui venait de prouver l’étroite parenté des langues indo-européennes, avait montré en
même temps que, dans notre Occident, à côté de ces langues d’origine exotique et d’importation relativement
récente, existent divers idiomes tout à fait différents des autres et que bien des raisons
sérieuses engagent à considérer comme des débris de langues antérieures aux invasions Aryennes. Ces
langues, formant deux groupes fort différents d’ailleurs, et qui sont encore parlées par les Finnois et les
Lapons au Nord, les Basques au Sud, ont eu jadis une bien plus large extension. Les recherches de Hum-
boldt tendent, en effet, à démontrer qne l’Euskara s’est autrefois étendu jusqu’à l’extrémité de l’Espagne,
que les noms de lieux et de rivières lès plus anciens de la Ligurie, de la Corse, de la Sardaigne (l)
(l) Éi>. L artet. Sur les migrations anciennes des mammifères de Vèpoque actuelle. (Compt. rend. Acad. Sc., t. XLVI, p. 409, 1858.)
RACES HUMAINES FOSSILES DE FURFOOZ, DE LA TRUCHÈRE, ETC.
et même de la Sicile, appartiennent par leur étymologie à ce même idiome, enfin que l’on retrouve
çà et là en Italie quelques dénominations qui paraissent être dérivées de radicaux basques (1). D’autre
part, abstraction faite de la langue madgyare, d’importation moderne, divers auteurs, Thunmann entre
autres, ont signalé des traces de Finnois en Lithuanie et jusque dans la Prusse orientale, à une époque
toute moderne (2). A vouloir remonter plus haut, les linguistes accordent aux langues finnoises une
extension aussi grande que celle que Humbolt a attribuée à l’Euskara (3).
Tout portait donc à croire que des peuples aborigènes, parlant ces langues aux formes d’ailleurs relativement
primitives, avaient occupé la plus grande partie de l’Europe et que, refoulés par les envahissements
successifs des races Aryennes, ils s’étaient graduellement localisés dans les points où nous les
trouvons aujourd’hui. Rask s’en était tenu à celte formule générale, que Wilde et quelques autres ethnologistes
avaient à peu près adoptée,
Retzius se demanda s’il y avait quelque différence anthropologique entre ces races que Prichard désignait
dans le même temps sous le nom d'allophyles (4) et les populations qu’on supposait former toutes
ensemble le groupe Indo-européen. 11 lui fut aisé de démontrer, dès 1842 (5), que les Suédois avaient le
crâne allongé, qu’ils étaient dolichocéphales, suivant l’expression qu’il employait le premier, tandis que les
Finnois et les Lapons étaient brachycéphales, c’est-à-dire avaient le crâne court. Les crânes basques qu’il
parvint plus tard à se procurer (au nombre de deux) se montrèrent également brachycéphales (6),
tandis que la majeure partie des pièces qu’il avait vues de notre pays étaient dolichocéphales (7), Puis,
comme dans certains tombeaux préhistoriques Scandinaves • et français on avait retrouvé deux formes
de têtes qui lui semblaient appartenir aux deux types qu’il avait signalés dans les populations vivantes des
mêmes contrées, et que, d’autre part, certaines données autorisaient Eschricht et M. S. Nilsson à considérer
d’une manière générale les crânes globuleux comme antérieurs aux autres, Retzius crut pouvoir étendre
à toute l’Europe occidentale la théorie des superpositions ethniques que l’exploration incomplète des
(1) Cf. A. Maury. La Terre et l’Homme, 3° édit. Paris, 1869, in-12, p. 532.
(2) Cf. A. de Quatrefages. La Race prussienne. Paris, 1871, in-18, ch. Y.
(3) -Cf. R. G. Latham. Eléments of Comparative Philology. 1862, p.. 630 et passim.
(41 Prichard. Researches into lhe physical history of Mankind. London, in-8°. 1841, t. III, p. 8.
. (5) A Retzius. Om formen a f Nordboemes Cranier. Stockholm, in-8°, 1843 (trad. ail. de Creplin, dans Muller's Arcliiv. 1845; Irad.
fr. de Courty, dans les Ann. des Sc. Nat., 3« sér., t. VT, p. 133-172,1846). — Cf. Elhnolog. Schrift., p. 1-24.
(6) J’ai étudié et mesuré ces crânes au musée de l’Institut Garolin. Ils ont été envoyés de Paris en 1858 et 1859, par le docteur Eugène
Robert. Le premier est étiqueté J.-R. Tellander, le second porte l’inscription E Museo Clamartio, à l’aide de laquelle on s’est
efforcé de mettre en doute son authenticité. Yoici les diamètres de ces deux pièces et les indices crâniens qui se peuvent tirer de
leur Comparaison :
Tableau XI. — Crânes basques de Retzius.
DIAMÈTRES
INDICES CÉPHALIQUES
LONG. = 100. LARG. = 100.
ANT. POST. MAX. . TRANSV. MAX. BASIL. BREGM. LARGEUR. HAUTEUR. HAUTEUR,
N" 1. 177 160 134- 90,39 75,70 . , 83,75
N» 2. . 178 ■ 158 MÊÈË 138 ■ II 88,76 87,34
_
Le crâne basque de Clamart était accompagné d’un crâne français très-dolichocéphale de même provenance (Franco Gallus) faisant,
avec le premier, un contraste très-marqué. (E. H.)
(7) A. Retzius. Op. cit. (Ann. Sc, Nat., p. 157). —Ct.Rlickpaelnologiens närvaran de Standpunkt, etc. Christiania, 1857, in-8°; trad .
fr- de Claparède dans les Arch. des Sc. de la Ribl. unie, de Genève, 3e série, t. VII, p. 151 et suiv. Genève, ih-8°, 1860,,