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Dans la note déjà citée, insérée au chapitre Y de F Ancienneté de F homme de sir Ch. Lyell, M. Huxley
s’était montré disposé à chercher au fossile belge des analogies avec certains crânes de l’Australie, tout en
reconnaissant qu’il y avait des raisons à faire valoir contre cette interprétation (1). Il va sans dire que cette
manière de voir était liée à l’hypothèse de liens de parenté avec le Néander, à laquelle M. Huxley ne
s’arrêtait pas, mais que M. Yogt a développée .presque dans le même temps'(2). Vers la fin dii Traité de la
‘place de F homme dans la nature (3) M. Huxley résume sa manière de voir définitive sur la voûte crânienne
d’Engis dans les termes suivants : « Prenant les témoignages tels qu’ils sont réellement, je dois avouer,
d’abord en ce qui concerne le crâne d’Engis, que je ne vois dans ses débris aucun caractère qui, s’il
était d'origine récente, pourrait me mettre sur la voie de la race à laquelle il appartient. Son contour et
ses mesures s'accordent parfaitement bien avec ceux de quelques crânes australiens que j ’ai examinés.
Il a parfaitement cette tendance à l’aplatissement de l’occiput si remarquable dans quelques crânes australiens
dont j ’ai parlé. Mais tous les crânes australiens ne présentent pas cet aplatissement; et l’arcade
sourcilière du crâne d’Engis est tout à fait différente de celle des types australiens. D’un autre côté ses
mesures concordent également bien avec celles de quelques crânes européens. Assurément, d’ailleurs,
aucune partie de sa structure n’offre la moindre trace de dégradation. C’est là, en effet, un crâne humain
d’une bonne moyenne qui peut avoir appartenu à un philosophe, ou peut tout aussi bien avoir contenu
le cerveau inculte d’un sauvage. »
M. Busk a formulé une diagnose semblable, en faisant remarquer que si le front est un peu étroit, on
peut néanmoins trouver beaucoup de pièces analogues dans des individus de race européenne (4).
M. Türner a publié une note dans le même.sens (5), et les raisons invoquées par M. Yogt contre cette manière
de voir étaient trop insuffisantes (6) pour qu’elle ne prévalût pas généralement jusqu’au jour où
les nouvelles découvertes faites en Périgord ont permis de fixer enfin la véritable place du fossile belge.
M. Spring s’est, en effet, contenté d’une brève description/?); et, sauf les applications que M. Prüner-Bey a
cru devoir faire à cette pièce de sa méthode et de sa nomenclature spéciales (8), nous ne voyons à mentionner
jusqu’en 1870 qu’un parallèle dû àM. Landzert et sur lequel nous allons revenir.
L’étude comparative du crâne d’Engis et de ceux de Gro-Magnon et de Grenelle montre alors à l’un de
nous des analogies étroites entre tous ces fossiles (9), analogies qu’est venu confirmer l’examen tout récent
des pièces de Menton et de Solutré. Et nous sommes amenés à placer à la fin de la série masculine de
Gro-Magnon et de Grenelle la . célèbre tête de Schmerling. Nous disons masculine : l’examen direct de
l’original fait à Liège par un des auteurs de cet ouvrage l’a conduit, en effet, à admettre, comme
MM. Türner (10) et Virchow (11), que les caractères sexuels, assez atténués par le moulage et le surmoulage
pour avoir fait considérer le crâne d’Engis comme un crâne de femme, sont franchement masculins.
L’étude des courbes antéro-postérieures du crâne d’Engis porte, de prime abord, à le rattacher au
groupe de Cro-Magnon. En effet, si, avec M. Landzert(12), on compare cette silhouette avec celle d’un crâne
Aryen pur (M. Landzert a choisi comme type un crâne grec de l’Acropole de très-belles proportions),
(1) Ch. Lyell. Edit, cit., p. 90-92.
(2) C. Voot. Leçons sur l'homme, p. 400.
(3) Th. Huxley. De la place de l'homme dans la nature. Trad. Tri, Paris, 1868, in-8°, p. 310.
. ,,(4) Ch. Lyell. Trad. oit., p. 83.
(5) "W. Turner. The fossil skull controversy on human cranta allied in anatomical characters lo the Engis and Neanderthal skulls.
{Quart. Journ. of. Sc. n° 2, April 1864, p. 250).
(6) G. "Voot. Op. cit., p. 339-390.
(7) A. S pring. Les hommes d’Engis et les hommes de Chauvaux. (Bull. Acad. roy. de Belgique, 2° série, t. XVIH, p. 488. 1864.)
(8) Bull. Soc. d’Anthrop. de Paris, t. IV, p. 305. — Congr. Intern. d'Anthrop., etc. 2« sess. Paris, 1867, pi 358. — etc.
(9) E.-T. Hamy. Paléontologie humaine, p. 281 et suiv.
(10) "W. Turner. Op. cit., p. 250.
(11) R. "Virchow. Ueberalt und neubelgische Schædel. (Archivfür Anthrop. etc. Bd. VI, s. 89.1873.)
(12) Landzert. (Archivfür Anthropologie, Bd. II, s. 14, fig. 11.)
on voit surgir deux caractères sur la fréquente apparition desquels nous avons précédemment insisté.
Nous voulons parler du méplat lambdatique et de la direction presque horizontale du plan cérébelleux.
La norma verticalis montre un certain degré de réduction du diamètre transversal (0",134), et cette
réduction fournit à M. Virchow le meilleur des arguments qu’il oppose à notre manière de voir (1).
Mais nous savons déjà que ce diamètre peut descendre aussi bas sur des crânes appartenant décidément
au type que nous décrivons. La figure 76 montre le. rapport qui existe entre ce diamètre transverse et le
diamètre transverse moyen des trois principaux crânes précédemment étudiés. Elle fait voir, en outre, que,
malgré l’ampliation remarquable des régions postérieures de la tête, le développement d’avant en
arrière /d.a.p. = 190) rentre cependant tout
•à. fait dans nos moyennes, ce que l’étude des
chiffrés nous avait appris déjà. Enfin cette
superposition prouve que les courbures
horizontales diffèrent médiocrement chez
l’homme d’Engis et chez ceux des gisements
français que l’on vient de passer en revue (2).
La vue de face confirme notre diagnostic.
Elle nous offre, en effet, des courbures qui
nous sont déjà familières. De plus à un diamètre
frontal minimum assez étroit, elle associe
un diamètre biorbitaire externe qui ne saurait
être inférieur à 0m, 116, diamètre en rapport
avec une face développée dans le sens de
la largeur, de telle sorte que l’indice fronto-
orbitaire destiné à rendre frappante cette Fi&- 77 ■ — Grâne d’JBngis n° 2 (du de profil, y2 grand.) {Coll. Schmerting.
projection en-dehors des apophyses orbi- JfwA d» ftmhuntu 4e Liège.)
taires externes, descend à 84, 48, alors que sur les autres sujets du même groupe il oscille entre 86 et 93.
Nous croyons inutile d’insister, en terminant, sur les ressemblances que révèle l’examen des reliefs
osseux ou l’étude des synostoses. Il nous suffit de remarquer que tant vers l’écaille occipitale que du
côté du front, les dispositions de détail sont les mêmes que dans les crânes dont-l’étude précède, et que
l’ossification des sutures marche encore ici d’avant en arrière.
Autres fragments d Engis et fragments d ’Engihoul.— Schmerling avait recueilli avec le crâne que nous
venons de décrire un certain nombre de fragments que l’un de nous a pu étudier-à Liège, grâce à la complaisance
du professeur Dewalque. Ces débris, en y joignant ceux de la première caverne d’Engihoul, ont
appartenu au moins à quatre sujets adultes et à un jeune sujet. Ce dernier (n° 1 de Schmerling) possède
une voûte de crâne presque complète, qu’a reconstituée habilement M. P. Davreux. Cette pièce est
remarquable par sa dolichocéphalie considérable (D. a. p. 182, D. tr. max. 128; Ind. céph. 70, 32),
exagérée encore par une déformation posthume; un méplat lambdatique très-accusé; l’obliquité de son
plan cérébelleux; la largeur relative de l’orbite et les dimensions extraordinaires du trou occipital
(long. 41, larg. 26). Le maxillaire supérieur qui accompagne cette voûte de crâne paraît indiquer un
enfant de moins de dix ans (3).
Un morceau d’un frontal remarquable par son épaisseur (0,009), par la persistance partielle de la suture
médiane et l’obliquité de l’apophyse orbitaire externe ; un autre frontal portant des arcs surciliers saillants
(1) R. Virchow. Op. cit., p. 91. •
(2) Voir plus haut, fig. 63, p. 67.
(3) Schmerling. Op.cit., t. I, p. 62-63
Quatrefages et Hamy.