description fort insuffisante du crâne Esthonien par Alexander Hueok (I) est le point de départ de ce rapprochement
qu'ont simultanément repoussé les premiers les deux auteurs de cet ouvrage. L’un a nettement
indiqué au Congrès des Sociétés savantes à la Sorbonne qu’on ne saurait comprendre dans un
même groupe les dolichocéphales de Cro-Magnon et les brachycéphales trouvés en divers lieux. Il est
revenu à diverses reprises sur cette distinction fondamentale (2). L’autre, dans le compte-rendu de cette
réunion, publié bientôt après par la Gazette médicale de Paris, a montré qu’il y a entre les Esthoniens
et les troglodytes du Périgord des différences radicales (3). M. Broca a développé longuement les mêmes
idées devant la Société d’anthropologie de Paris où le débat s’était continué (4).
Il est vrai que nous constatons l’existence de deux types en Esthonie, et qu’à côté d’un type sous-
brachycéphale très-différent en réalité de celui de nos cavernes, comme nous le dirons tout à l’heure,
nous en rencontrons un autre dolichocéphale (Ind. Céph. 75) dont M. de Baër nous a procuré le vieux
Fig. 154. — Crâne de vieille femme Esthonienné Fig. 155. — Le même crâne (vu de profil, grand.
(vu de face 1/J grand. Mus. Hist. Nat.) Don de M. de Baër). jJ
spécimen féminin représenté ici (fig. 154 et 155). Ce second type qui rappellerait peut-être quelque peu
les Dalécarliens dont nous avons parlé dans le chapitre précédent (5) n’est pas sans offrir certaines
analogies avec celui dont M. Prüner-Bey l’a rapproché ; mais il est exceptionnel. L’ensemble de la population,
telle que nous la font connaître les travaux de Van der Hceven (6), de MM. Welcker (7), Broca,
Koperniçki (8) et Virchow (9) et nos propres observations, est moins éloigné de l’une des races de laLesse 1 2 3 4 * 6 7
(1) Ai.. Hueck. De craniis Esthonum dissertalio anthropologica. Dorpat, 1838, in-4.
(2) A. de Quatrefages, Remarks on the human remains from the caveat Cro-Magnon (Reliquiæ Aquitanicce, p. 123-125).— CT. La Race
Prussienne, 1871, p. 31 et 36 ; Journal des savants, 1871, p. 223.
(3) E. T. Hamy. Gazette médicale de Paris, 16 mai 1868.
(4) P. Broca, Les crânes des Eyzies et la théorie Esthonienne (Bull. Soc. d’Antlirop. de Paris, 2® série, t. III, p. 454 e t su iv ., 1868).
(b) Voyez plus haut, p. 91, n. 2.
(6) Van der Hoeven, trad. fr. de M. Prüner-Bey, Mém. Soc. d’Anthrop. de Paris, t. Il, p. 207 et suiv.
(7) H. Welcker, Sur les caractères des crânes Esthoniens (Bull. Soc. d’Anthrop. de Paris, 2® série, t. III, p. 578 et suiv,, 745-748, 1868).
Cf. P. Broca, loc. cit. — A. de Quatrefages. Réponse à M. Virchow..(Rev. Scient., 2° sér., 2® année, n° 42, 19 avril 1873, p. 999.)
(8;. Koperniçki. Quelques observations céphalométriques sur les Rulhéniens, les Russes et les Finnois de l’Est. (Bull. Soc. d’Anthrop. de
Paris, 2® sér., t. IV, p. '622, 1869.)
(9), R. Virchow. Les crânes finnois et esthoniens comparés aux crânes des tombeaux du Nord-Est de l’Allemagne, trad. fr. (Rev. Scient.,
2® sér., 2® année, n° 14, 5 octobre 1872.)
que de celle de la Vézère. C’est aux pièces même que M. Prüner rapprochait des fossiles de Cro-Magnon,
que M. Dupont a demandé la justification du qualificatif Mongoloïde qu’il a donné à ses troglodytes de
Furfooz (1). L’opinion de M. Dupont se fonde sur le parallélisme entre certaines mesures prises sur ces
crânes et sur deux de nos Esthoniens, l’un de Reval, l’autre de Parma. Il reconnaît d’ailleurs qu’en se
plaçant sur le terrain de la morphologie « les contrastes l’emportent de beaucoup sur les analogies. »
Ce sont ces dernières qui ont autrefois entraîné l’un de nous à des rapprochements qu’il a reconnu plus
tard avoir été poussés trop loin (2).
En effet nous rencontrons bien dans la face des deux sujets figurés par M. Dupont plusieurs traits qui
se retrouvent avec des modifications sur le n° 1 de Furfooz, mais leurs crânes diffèrent beaucoup par
toutes leurs courbes de celui de ce troglodyte. Un troisième Esthonien affecte un prognathisme qui n’est
pas sans analogie avec celui du second
type de la Lesse. Mais le crâne en est déformé
par des soudures précoces et il se
pourrait bien qu’il doive en grande partie
sa physionomie brutale à des agents autres
que celui de l’hérédité, ethnique. La
voûte n’offre d’ailleurs aucune ressemblance
avec celle du sujet préhistorique
auquel on l’a comparé, et la mâchoire inférieure,
représentée ci-contre (fig. 156),
offre bien plus d’affinités avec celles de
Grenelle (carrière Hélie) qu’avec aucune
autre pièce ancienne examinée par nous.
Sauf les ressemblances des mesures que
nous avons rappelées plus haut et en particulier
la presque identité des indices céphaliques (3), les analogies entre les crânes fossiles Belges et
ceux des Esthoniens se réduisent à quelques traits d’une importance secondaire. Surtout ces traits comparables,
au lieu de se trouver accumulés sur le même individu, se montrent répartis entre les sujets
composant la série trop courte et sans homogénéité qui a servi aux rapprochements que ne considère
plus comme fondés celui même de nous qui les avait précédemment admis.
(1) Ed. Dupont, Sur les crânes de Furfooz. (Congr. Internat. d’Anthrop. et d’Arch. préhist. 6® sess., Bruxelles, 1872, p. 557.)
(2) A. de Quatrefages, Rapport sur les progrès de l’Anthropologie. Paris, gr. in-8, 1867, p. 260. — Id. Sur trois têtes d’Esthoniens
(Bull. Soc. d’Anthrop. de Paris, 2® sér., 1.1, p. 287, 1866). — C’est aux brachycéphales de Furfooz et autres lieux que j’ai constamment
comparé les Esthoniens et jamais aux dolichocéphales de Cro-Magnon, comme l’a dit M. Virchow. (Revue scientifique, op. cit., p. 989.)
En particulier j’ai insisté sur ce fait, précisément dans le livre qui m’a valu les attaques du savant prussien. (La Race Prussienne
p. 36.) C’est en outre l'ensemble des races petites et brachycéphales fossiles que j’ai rapproché des populations allophyles du Nord et des
Esthoniens en particulier. (La Race Prussienne, op. cit.; Journal des .Savants, op. cit.) Au reste, dans mes divers écrits sur cette
question, tout en montrant jusqu’où le savoir du moment pouvait se hasarder, j’ai fait les réserves les plus expresses au sujet des corrections
que pourrait entraîner le progrès de la science ; j’ai réservé l’avenir tout en exposant ce que je croyais être l’expression générale
des notions acquises. (Journal des Savants, op. cit.; La Race Prussienne, p. 33.) Nul ne sera surpris que de nouvelles éludes portant sur des
matériaux plus nombreux aient modifié mes idées, dont le fond reste d’ailleurs 7rai.
Puisque je suis amené à rappeler ces controverses, je dois faire remarquer que dans ma Réponse à M. Virchow, j'ai attribué aux
deux crânes de Furfooz un indice moyen de 807. En réalité cet indice est de 803 ; le premier nombre résultait de mesures prises sur
des moulages ; le second est celui qu’ont donné les têtes elles-mêmes. Au reste la différence en moins (0,004) qui résulte de la correction
est bien trop faible pour infirmer mes conclusions. (Revue scientifique, p. 990.)
Je crois aussi pouvoir rappeler que j’ai signalé la différence des types dès ma première communication relative aux crânes
d Esthoniens (Bull, de la Soc. d’Anthrop., op. cit.) et que j’ai également admis la dualité des races de Furfooz dès 1871. (Journal des
Savants, loc. cit.). Je me borne ici à ces quelques remarques, la question devant revenir plus tard lorsque nous étudierons les populations
européennes. (A. de Q.) r y
(3) Les cinq crânes Esthoniens mesurés par M. Broca lui ont donné 80,59 pour indice céphalique moyen ; celui des deux crânes de
Furfooz est de 80,35. La différence n'est donc que de 0,0025,