Un crâne de jeune fille qui accompagne celui dont il vient d’être parlé, trop jeune pour servir à une
description ethnique dans le détail de ses diverses pièces, confirme cependant par sa morphologie générale
le rapprochement que nous avons établi. Il a en effet presque toutes les apparences des crânes Karons
non déformés que nous avons plus haut fait connaître. Son indice céphalique est seulement un peu plus
élevé (81,04), ce qui, comme on le verra plus tard, tient à l’âge, qu’on peut évaluer à onze ans environ.
La face, petite, étroite, offre en même temps les traits les plus
essentiels de notre description, en particulier en tout ce qui touche
à l'ossature des os nasaux et maxillaires supérieurs.
Les femmes ne présentent pas seules à Toud les apparences
qui faisaient croire à Dumoutier qu’elles provenaient d’une autre
race. La déformation que nous avons trouvée sur le crâne qui
faisait tout à l’heure l’objet de notre étude *existe parfois chez les
hommes (1) et les deux sujets moulés de l’atlas d’anthropologie
du voyage de Y Astrolabe et de la Zélée en sont précisément atteints.
Nous reproduisons l'un de ces bustes de profil d’après
l’original conservé dans les galeries de notre Muséum. Cette
figure permettra de constater, en même temps que l’identité de
la déformation qu’elle porte et de’celle dont les crânes figurés
plus haut sont atteints, le caractère spécial du type observé à
Toud par nos naturalistes, type qui n’a rien de commun avec
celui des Papouas vrais, et qui se rapproche au contraire d’une
manière assez marquée de celui de quelques-unes des populations
précédemment passées en revue.
moulé de la collection Dumoutier (i/4 gr.
Mus. Hist. Nat. de Paris).
Cette déformation de Toud se retrouve exactement la même aux Nouvelles-Hébrides. Pickering a représenté
un jeune homme d’Erromango qui rappelle considérablement l’insulaire du détroit de Torrès dont on
a donné ci-dessus le profil(2). Il est remarquable que ce Néo-Hébridais ait été pris par le célèbre anthropologiste
américain comme type de la race nêgrillo dans laquelle il fait entrer les insulaires des Andaman,
de Luçon, de Solo, certains Néo-Guinéens, etc., enfin les habitants d’Erromango et de Mallicolo, qu’avec
Forster, Cunningham et Yanderford, il distingue nettement des populations des îles voisines. Reconnaissons
que certaines descriptions de ces auteurs militent en faveur de la manière de voir exposée par Pickering,
et que ce que dit Forster (3) en particulier des insulaires de Mallicolo conduit à les rapprocher singulièrement
de ceux dont nous venons d’étudier la morphologie céphalique (4).
Cr â n e s d e P a po u s d e R aw a k (PI. XIX, fig. 1 et 2, et dans le texte fig. 223,224 et 225). — Retzius, qui
avait en mains les crânes de la collection Wise par la description desquels commence ce paragraphe, les
rapprochait de ceux qu’il nous reste à faire connaître, et dont Gaimard lui avait adressé un moulage (5). Ce 1 2 3 4
(1) Notons cependant que pas un des huit crânes d’hommes adultes que nous avons sous les yeux n’en présente de trace.
(2) Ch. Pickering. Op. cit., chap. VII, et pl. 8.
(3) Forsteb. Observations sur C espèce humaine (Observations faites pendant le second voyage de M. Cook, trad. fr. Paris, 1778, in-4®
p. 220 et 239).
(4) Cook a rapproché les gens d’Apee de ceux de Mallicolo, mais il donne les insulaires d’Erromango comme différant de ces
derniers (Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, trad. fr. Paris, 1778, in-4®,t. III, p. 90 et 112). Nous verrons plus
tard, que les seuls renseignements crâniologiques recueillis sur Apee nous en montrent la population essentiellement Papoua.
M. Barnard Davis a, au contraire, dit quelques mots d’un crâne de Tanna (Thésaurus craniorum, n° 685, p. 310-311) qui, raccourci
par un aplatissement pariéto-occipital, offre un indice de 85 et pourrait bien rappeler à certains égards la description de Forster.
Pickering a juxtaposé à ses Négrillos Néo-Hébridiens jles insulaires de Vanikoro mais les documents recueillis pendant le voyage de
Y Astrolabe à la recherche des débris de l’expédition de Lapérouse ne permettent cependant pas d’accepter ce rapprochement.
(i) A. Retzius. Trad. cit., p. 164.
rapprochement, frappant quand il s’agissait du crâne déformé décrit plus haut, l’était déjà bien moins
pour les autres, qui offrent cependant un assez grand nombre de traits qui leur sont commun» avec les
Papous de Rawak, et qu’il sera aisé de reconnaître dans la description que nous allons tracer de l’ensemble
des caractères de ces derniers.
Les Papous de Rawak se déforment le crâne (1) suivant un mode voisin de celui qu’emploient quelques-
unes des tribus négritos et négrito-papoues que nous avons passées en revue, et qu’on retrouve d’ailleurs
chez les populations de Célèbes (2), etc., qui pourraient bien avoir emprunté cette ooutume aux petits
Nègres, leurs prédécesseurs sur le sol qu’elles occupent.
Sur le crâne que nous représentons (pl. XIX, fig. 1) et qui, donné àGall par Quoy et Gaimard, n’a point
été figuré dans les planches qu'ont publiées ces derniers (3), le frontal s’allonge (courbe front, tôt. 0,133)
oblique et déprimé jusqu’au bregma situé très-haut (d. basil. bregm. 0m,142). Ses trois bosses sont bien
détachées, et saillent nettement à sa surface, les latérales un peu bas et en dehors, refoulées qu’elles sont
par la déformation, la médiane, presque tout le long du plan médian antéro-postérieur. La portion temporale
du frontal est très-bombée. Le développement d’avant en arrière est compensé jusqu’à un certain
point par l’étroitesse à la base (diam. front, min. 0m,094) à laquelle succède d’ailleurs une ampliation considérable
des régions supérieures (diam. front, max. 0m, 126) qui se continue sur les pariétaux dont la courbe
antéro-postérieure est de 0",132 et le diamètre transverse de 0m, 158. Ces os prolongent les courbes et les
plans du frontal; la saillie de la bosse frontale médiane se poursuit en s’adoucissant par une voussure légère
de la suture sagittale, les méplats qui séparent les bosses se continuent entre la voussure et les bosses pariétales,
ces dernières enfin mal circonscrites, mais fort saillantes, sont reliées aux bosses frontales latérales,
par le relief qui limite en haut la fosse temporale et décompose, comme chez les négritos, en deux plans fort
distincts la surface des pariétaux. De ces deux plans, le supérieur rappelle ce que nous avons vu au précédent
chapitre, mais l’inférieur, aju'lieii de descendre presque verticalement, décrit au-dessous des bosses
(pl. XIX, fig. 2) une courbe fort accusée qui est due à la convexité considérable des régions temporales,
convexité qui s’étend à l’écaille de ce nom (4) et à une petite partie des pariétaux sise immédiatement au-
dessus, et se trouve séparée par une dépression très-sensible de celle que nous avons décrite en parlant
de la portion temporale du frontal.
En arrière des bosses pariétales (5)le crâne s’aplatit brusquement(fig. 223), et le tiers postérieur des pariétaux
forme avec l’écaille occipitale cérébrale un seul plan taillé à pic. Cette écaille, très-large et de moyenne
hauteur, a d’ailleurs une forme irrégulièrement arrondie ; l’articulation qui la rattache aux pariétaux est
relativement simple, comme toutes celles de la voûte, et beaucoup plus ouverte que les sutures de la
moitié antérieure. Ajoutons que les insertions musculaires et les saillies osseuses se dessinent en vigueur
sur toute la base du crâne.
L’aplatissement artificiel dont il vient d’être question (6), et l’ampliation concomitante en largeur ont
pour résultat de faire monter considérablement l’indice de notre crâne. Le diamètre antéro-postérieur
étant seulement de 0”, 179, tandis que le transverse maximum atteint, comme nous l’avons dit, 0m,158,
l’indice céphalique monte à 88,26. Nous avons vu que le diamètre vertical est de 0m,142, les indices de
la longueur et de la largeur à la hauteur deviennent donc 79,32 et 89,87.
(1) L. de Freycinet. Op. cit. Hist., t. Il, p. 47.
.(2) Riedei.. Ueber künstliche Verbildung der Kopfes (Zeitschrift für Ethnologie,;ëtc. Bd. III, S. 110, Taf. v, G g. 1. 1871).
(3) Vimont en a donné une vue de profil dans la planche GXVII de l'atlas de son Traité de phrénologie humaine et comparée.
(4) La racine transverse qui limite en bas l’écaille est des plus accusées des deux côtés, elle se termine à droite par un gros
tubercule que l’on voit sur notre figure I, pl. XIX, et dont nous ne connaissons pas jusqu’ici d’autre exemple aussi marqué.
(5) Observons, en passant, que le pariétal droit est profondément entamé en arrière de sa bosse par un coup de hache. Cette
blessure met en évidence l’éburnation de la pièce et sa grande épaisseur, qui expliquent le poids énorme que nous lui avons trouvé.
(6) Gall considérait cette déformation comme d’origine rachitique, mais il n’a pas donné d’argument sérieux à l’appui de sa
manière de voir (Quoy et Gaimard, loc. cit., p. 7).