Les Tasmaniens De se distinguent pas moins nettement des Australiens, leurs plus proches voisinsgéographiques.
Anderson, qui ne parait pas s'être fait une idée bien précise: de l'importance relative des
caractères anthropologiques et qui s exagérait singulièrement, en tout cas, l’influence des milieux sur leur
variation, avait supposé que les Tasmaniens, dont il a laissé une description très-vague, appartenaient,à,la
même race que les habitants des parties septentrionales de la Nouvelle-Hollande. « Quoiqu’ils n’aient
point la vue mauvaise et deux dents de moins à la mandibule supérieure, comme ceux que vit Dampier
sur la côte ouest de ce pays (1 Australie) ; quoique la description de ceux que le capitaine Godk aperçut sur
la côte Orientale durant son premier voyage, ne leur convienne pas à bien des égards, je suis persuadé
toutefois, dit 1 ethnographe, anglais (1), que la distance des lieux, la communication interrompue, la diversité
du climat et le laps de temps suffisent pour produire plus de différences dans la ligure, et les usages
qu’il n’y en a réellement entre les peuplades de la terre Van-Diémen et celles dont parlent Dampier et le:
premier voyage.de M. Cook. » Lejlurnal de M. Parkinson, ajoute-t-il, offre le portrait de l’un des
habitants des bords de la rivière Endeavour, et ce portrait ressemble beaucoup aux naturels de la baie de
I Adventure. Les voyageurs français, bien loin d’admettre ces prétendues analogies, se sont montrés frappés
au contraire presque tous du peu de rapports que présentent les . deux groupes ethniques ainsi rapprochés.
A une époque o.ù le détroit de Bass n’était point encore connu et où l'on supposait que Van-Diémen
faisait partie du continent Australien, Labillardière affirmait déjà que le peuple de la première terre n’a
pas la même origine que celui de la seconde (2). Après avoir fait observer que:*?«: par tous les traits rde leur
figure » et « par la conformation de leur têje i^|es habitants du sud de la Nouvelle-Hollande »ileidïstin-
guent éminemment de ceux du canal d’Entrecasteaux (3), » Péron a insisté sur la différence absolue qui
sépare les deux races, « De toutes les observations qu’on peut faire en passant de la terre de Diéme|®à la
Nouvelle-Hollande, la plus facile, sans doute, dit l’illustre naturaliste,.la plus importante, et peut-être
aussi la plus inexplicable, c'est la différence absolue des races qui peuplent chacune de cés deux terres.
Et il ajoute qu’ils .n’ont presque rien de commun a dans l’ensemble de leur constitution physique, la
forme-du crâne, la proportion de la face^ eto. (4). » .,
Les portraits publiés à la suite des deux voyages déposent dans le même sens. Si-Ton compare,»l'effet,
avecie dessin de l’artiste anglais ci-dessus. mentionné, quelque insuffisant qu’il soit (S), les gravures
publiées par Webber (6), Labillardière (7), et surtout si Ipn. met efl présencedes planches de Petit,’
montrant quelques-uns des Tasmaniens et des Australiens vus par l’expédition du Géographe st du Naturaliste
(8), on sent tout aussitôt que des différences considérables doivent avoir existé entré les populations
des deux rives du détroit de Bass.
C’est encore, la même impression que produisent les deux portraits de Tasmaniens dessinés par Ni'eL(9)
dans 1 atlas de 1 Astrolabe. Ils diffèrent à tel point de ceux des Australiens du Port du Roi-George, représentés
par de Sainson (10), que Ton doit s’étonner de voir Dumont d’Urville (H) conclure en’ sens inverse
des figures qu’il avait fait exécuter.
(1) Anderson ap. J. Cook. Troisième Voyage ou Voyage a l’océan Pacifique. Trad. fr. Paris, 1785, t. I, p. 146.
HI L abillardière. Relation du voyage à la recherche de La Pérouse, t. II, p. 60. Paris, an VIII, in-4°.
(3) Péron. Voyage de découvertes aux Terres Australes, 1. 1, p. 364. Paris, 1807, in-4®.
(4) I d. Ibid., t. II, p.164. Paris, 1816, in-4®.
2 ! Park,nson- A Journal of a Voyage t0 the South Seas, in H. M. S. the Endeavour. London, 1773, in-4® pl XXVII
(b) W ebber ap. Cook. Op. cit. Atlas, pl. VI et VII.
(7) L abillardière. Op. cit. Atlas, pl. 6, 7 et 8.
(8) Op. cit t Atlas par Lesüeur et Petit, pl. VIII à XII, XVII à XXL
(9) Dumont d’Urville; Voyage de la corvelte l’Astrolabe. Atlas, pl. 153, t •
(10) Id. Ibid., pl. 8, etc.
(H) I d. Historique. T. V., p, 91 et ph CLIIL
La crâniologie est venue à son tour, dès 1844, confirmer le dualisme ethnique des noirs de l’Australie
et de Van-Diemen. Si Prichard, avec sa figure très-imparfaite, n’a pasfaitavancer la question (1), siKnox entretenait
vers le même temps la confusion dans certains esprits, eh publiant tour à tour le même crâne du
King’s College sous le nom de Tasmanien et sous celui d’Australien (2), du moins Martin, dont l’ouvrage
est souvent cité plus haut, a-t-il successivement représenté le crâne (3) des deux races (fig. 241) et accompagné
ses figures de descriptions qui en accentuent les différences.
L’atlas du voyage de Y Astrolabe & t de la Zélée, publié six ans après les gravures de Martin, vint
multiplier les termes de comparaison, en mettant
en présence cinq crânes d’Australiens et de Tasmaniens.
Malheureusement Dumoutier, qui dirigeait
cette magnifique publication, renouvelant,
ou peu s’en faut, l’erreur que l’on reproche à
Knox, introduisit parmi les derniers la tête d’un
Australien mort en Tasmanie à l’hôpital colonial,
et aussi facilement reconnaissable aujourd’hui
pour les ethnographes que pour les anthropologistes
(4). M. Blanchard, chargé longtemps
Australien (B), d’après les figures de Martin.
après de commenter cette figure et celles qui l’accompagnent, s’est trouvé fort embarrassé, les
documents de nos collections publiques lui montrant d’un peuple à l’autre des différences qu il ne retrouvait
plus entre les pièces de l’atlas dont les originaux ne lui avaient point été communiqués (5).
Aussi s’est-il prudemment arrêté à des considérations générales formulées avec réserve, mais en faveur
de la distinction des deux races. Hombron partageait la même manière de voir qu il accentuait beaucoup
plus énergiquement, et M. Huxley, qui, comme Hombron, a vu de près lés deux peuples, n est pas moins
affirmatif (6).
Quatre auteurs, MM. Giglioli, Prüner-Bey, Topinard et B. Davis ont repris de nos jours ces intéressantes
comparaisons. Le premier, induit en erreur parla confusion commise dans 1 atlas de Dumoutier, a cherché
à établir des analogies entre la tête des Tasmaniens et celle des anciens habitants des Nouvelles-Galles
du Sud, dont le crâne de Bondi, que nous examinerons plus tard, offrirait, suivant lui, le type le mieux
accusé (7). MM. Prüner-Bey et Topinard, comparant successivement les mesures des crânes Tasmaniens
et Australiens alors déposés dans les collections du Muséum de Paris, sont arrivés, comme Labillardière,
(1) J. G. Prichard. Op. cit., fig. 6. _ . ‘ 0 -a
(2) R. Knox. The Races of Man, a philosophical enquiry M o the influence of Race ober the Destinies of Nations. London, 1842, m-12,
p. 127 et 269.
(3) W.-L. Martin. Op. cit., fig. 227 et 230, p. 310 et 312. . . . . , r, . . .
(4) Dumont d’Urville. Voyage au Pôle'Sud, etc. Anthropologie. Atlas, pl. XXXVI, fig. 1. 2. — Cette tête masculine, qui offre tous
les caractères des Australiens purs, a subi, en effet,Tairalsion de lSneisivesupérieur!!,. | |M e pelle de la plupart de celles que
nous aurons à examiner plus tard.
(5) On sait que M. Blanchard, officiellement chargé de la publication du volume Anthropologie du voyage au pôle sud, ne put
jamais obtenir de Dumoutier la communication des pièces de sa collection personnelle, que celui-ci avait fait graver à l’exclusion de
celles qu’il avait remises à Dumont d’Urville et que l’amiral avait adressées à Serres pour le Muséum d’histoire naturelle. Les originaux
du célèbre Atlas soustraits à l’examen de M. Blanchard et de toutes les autres personnes qui se sont occupées d’anthropologie
descriptive jusqu’à 1875, n’ont pu être étudiés que depuis que les auteurs de cet. ouvrage, après bien des démarches, ont enfin pu
en obtenir la vente à nos collections nationales.
(6) Hombron. Op. cit. (Voyage au Pôle Sud, etc. Zoologie. T. I, p. 319-320). — Th. Huxley. On the distribution of the Races ofMankind
andits bearing on the Antiquity ofMan (Internat. Congr. ofPrehist. Arch. 3d session. London, 1869, in-8° p. 93).
(7) E.-H. Giglioli. I Tasmaniani. Cenni storici ed etnologici di un popolo estinto (Archivio per VAntropologia e la Etnolagia, vol. I,
p. 397-398, 1871). — M. Giglioli, qui ignorait la séquestration momentanée des trois crânes de Dumoutier, a cru qu’ils figuraient parmi
les pièces ayant servi de base au mémoire de M. Topinard, et s’est étonné du contraste que présentent les conclusions de ce travail