Chapitre I I I . — deuxième rage humaine fossile ou race de cro-magnon.
§ 1. — Historique.
Nous prenons pour types de notre seconde race dolichocéphale, les têtes bien connues sous le nom de
Cro-Magnon, en leur rattachant un certain nombre de fossiles humains dont la découverte remonte à une
époque moins récente. Nous mettons en première ligne, mais avec quelques doutes celui de Goat-Hole à
Paviland, signalé par Buckland, en 1823 (1). Dans des circonstances archéologiques comparables jusqu’à
un certain point à celles des stations aujourd’hui classiques de Cro-Magnon, de Bruniquel, etc., ce
naturaliste a trouvé dans la grotte de la Chèvre, la moitié gauche d’un squelette de femme, dont il n’a
pas donné de description, ces débris humains ne lui semblant pas remplir les conditions alors exigées,
pour être considérés comme fossiles.
Schmerling pensait tout autrement de ceux qu’il avait trouvés dans les cavernes d’Engis et d’Engihoul,
confondus avec les os du mammouth, du rhinocéros, de l’hyène des cavernes, du grand ours, du cheval
et de ruminants indéterminés des genres cerf et boeuf (2). Mais en démontrant, le premier, la coexistence
de l’homme avec ces animaux dont les espèces ont disparu de notre faune, il s’est abstenu de détailler les
caractères des os humains de ces. grottes. Frappé cependant de l’allongement de la tête, de l’étroitesse
relative du front, du développement de l’occipital et de la forme des orbites, dans le crâne aujourd’hui
célèbre sous le nom de crâne d’Engis, il crut pouvoir le rapprocher plus de celui de ï Ethiopien que de celui
de ïEuropéen. Il ajoutait, d’ailleurs, avec une prudence un peu exagérée que «les nuances individuelles
sont si nombreuses dans les crânes d’une même race, que l’on ne peut sans s’exposer aux plus grandes
inconséquences, conclure d’un seul fragment de crâne pour la forme totale de la tête ».
Schmerling ne s’était donc pas prononcé avec certitude. Cependant la théorie négroïde fondée sur
l’examen trop superficiel et trop rapide du crâne d’Engis a trouvé, malgré Spring (3), plus d'un écho en
Europe, lorsque l’on s’est enfin occupé avec quelque suite de l’étude de l’homme fossile. On en parlait,
il y a peu d’années encore, dans quelques cercles scientifiques, et elle pourrait bien avoir donné
naissance à l’hypothèse qui a eu cours en Allemagne, et qui rattachait certains crânes anciens découverts
dans l’.archiduché d’Autriche, etc., à un type africain (4).
Les découvertes de M. Malaise dans la deuxième grotte d’Engihoul, en 1860, n’ont produit que
des fragments trop mutilés pour faire faire tout d’abord un grand pas à l’étude * de cette race (5). Il en a
été de même des fouilles de Lartet et de Christy, à la Madeleine, où un frontal incomplet et une
moitié de mâchoire représentaient seuls le squelette de la tête (6). Mais M. Brun, sous l’abri de Lafaye, à
Bruniquel (7), M. Louis Lartet à Cro-Magnon (8), M. Emile Martin (9) dans les alluvions des 1 2 3 4 5 6 * 8 9
(1) Buckland. Reliquiæ diluvianæ. London. 1823, in-4°, p. 82 et pl. XXI.
(2) Schmerling. Recherches sur les ossements fossiles découverts dans les cavernes de la province de Liège, 1.1, p. 60-66. Liège. 1833, in-4°.
(3) Spring. Les hommes d'Engis et les hommes de Chauvaux. (Bull. Acad. Roy. de Belgique, 2e série, t. XVEOE, p. 488. 1864.)
(4) Cf. Bull. Soc. d’Anlhrop. de Paris, t. I, p. 73 et 87.1860.
(5) G. Malaise. Note sur quelques ossements humains fossiles et sur quelques silex taillés. (Bull. Acad. Roy. de Belgique, 2e série, t. X ,
p. 546. 1860.) '
(6) Voir Ancienneté de t homme. Appendice. Paris, 1864, in-8°, p. 160.
Cl) V. Brun. Notice sur les fouilles paléontologiques de l'âge de pierre exécutées à Bruniquel et à Saint-Anlonm. Montauban. 1867,
p. 11 et suiv. et pl. VI.
(8) L. L artet. Une sépulture des troglodytes du Périgord. (Bull. Soc. d’Anthrop. de Paris, 2° série, t. III, p. 337 et suiv. 1868 et Reliquiæ
Aquitanicæ, p. 62 et suiv.)
(9) E.-T. Hamy. Précis de paléontologie humaine. Paris. 1870, in-8°, p. 247 et suiY.
DEUXIÈME RACE HUMAINE FOSSILE OU RACE DE CRO-MAGNON.
moyens niveaux de Grenelle; M. Massénat à Laugerie (1), M. Ducrost dans les couches profondes de
Soliitré(2), M. E. Rivière, enfin, aux Baoussé-Roussé, près Menton (3), ont mis au jour plusieurs séries
de pièces assez bien conservées pour qu’il soit devenu possible d’en tirer une craniologie complète de
cette race remarquable.
Des deux têtes de Lafaye, l’une est d’une conservation parfaite, l’autre quoique déformée par la
compression posthume se prête encore à des recherches intéressantes. Les trois individus de Cro-Ma-
gnon, trois têtes et les fragments de deux autres trouvées à Grenelle, deux voûtes entières et la moitié
postérieure d’une troisième recueillies à Laugerie, trois têtes incomplètes de Solutré, celle des Baoussé-
Roussé, divers fragments rassemblés dans les fouilles de Montrejean par M. Piette, enfin les pièces
d’Engis et d’Engihouj précédemment citées, complètent l’énumération de ces documents relativement
nombreux et complets que des observations anatomiques très-précises nous ont engagés à grouper
sous un nom commun emprunté au plus célèbre des gisements où on les a rencontrées. Tous ces
ossements appartiennent à une même période, intermédiaire à l’âge du mammouth dont il a été
question dans le précédent chapitre et à l’âge du renne proprement dit dont il sera parlé plus loin.
Cette période de transition pendant laquelle la faune se modifie lentement et où les mammifères caractéristiques
du premier âge quaternaire disparaissent l’un après l’autre sous des influences diverses, a vu
se répandre dans une partie de l’Europe occidentale la nouvelle race humaine dont nous allons faire
'Connaître les caractères, pour suivre ensuite rapidement sa descendance à travers le temps et l’espace,
comme nous l’avons fait pour la race de Canstadt.
§ 2 . — Description.
Type masculin.
De toutes les découvertes que nous avons rappelées ci-dessus dans leur ordre chronologique, la plus
importante, sans contredit, a été celle de Cro-Magnon en 1868. Sans pouvoir encore donner une complète
satisfaction à la curiosité des anthropologistes, la trouvaille de M. Louis Lartet a permis, en effet,
de décrire presque complètement les os de la tête d’une race humaine que les recherches antérieurement
entreprises n’avaient pas réussi à distinguer nettement des autres races des temps préhistoriques.
Les descriptions que nous devons surtout à MM. Broca et Prüner-Bey (4), en faisant connaître un type masculin
et un type féminin, fossiles tous deux bien accentués, ont donné aux anatomistes la possibilité de
rattacher avec certitude à la nouvelle race fossile les ossements restés douteux, quant à leur détermination
ethnique, des gisements fouillés par Schmerling, MM. Malaise, V. Brun, etc. Aussi croyons-
nous devoir commencer par l’étude des pièces-types de Cro-Magnon chacun des paragraphes que nous
allons consacrer à la description de la tête masculine et de la tête féminine dans notre seconde race quaternaire.
Crâne de Cro-Magnon n ° 1. (pl. III, IY, V, et dans le texte, fig. 48 et 49). — Comme tous les crânes
décrits jusqu’à présent, celui-ci est encore dolichocéphale; mais sa dolichocéphalie diffère, à bien des
égards, de celle que nous nous sommes efforcés de faire connaître dans le précédent chapitre. On pour-
(1) E. Massénat. Mat. pour Vhist. primitive et naturelle de l'homme, 2e série, 1.1 , p. [355-336. Î869. (Bull. Soc. d’Anthrop. de Paris,
2° série, t. VUI, sous-presse.)
(2) Ducrost et Lortet. Études sur la station préhistorique de Solutré (Ann. Sc. Gèol., t. Il, n° 4, 1871-1872.)
(3) E. Rivière. Les fouilles des grottes de Baoussé-Roussé, dites grottes de Menton (Bull. Soc. d'Anthrop. de Paris). 2° série, t. VII,
p. 584 et suiv., etc.). — Découverte d'un squelette humain de l'époque paléolithique dans les cavernes des Baoussé-Roussé. Paris, 1873,
avec deux photographies.
(4) Reliquiæ Aquitanicæ, p. 73 et suiv., etc. (Bull. Soc. d’Anthrop., 2« s., t. III, p. 350 à 392, 416 à 446, 454 à 514, 554 à 574. 1868.)