Nous n'avons presque rien à ajouter à ce que nous avons dit, dans la première partie de cet ouvrage, sur
les comparaisons auxquelles se prête notre seconde race d’Australie avec les plus anciens habitants de
l’Europe Occidentale. Nous avons rappelé, non sans quelques détails (1), les hésitations de M. Huxley
semblant croire d’abord à une variabilité extrême du crâne Australien (2), puis dégageant peu à peu le
type dolichoplatycéphale, le localisant en quelques points restreints de l’Australie, pour établir enfin avec
netteté ses affinités avec notre type quaternaire de Canstadt ou du Néanderthal. La description des crânes
d’Adélaïde, etc., qui vient de passer sous les yeux du lecteur, a pu lui montrer combien les ressemblances
ostéologiques sont étroites, dès à présent, entre ces tribus de la côte sud du continent Australien
et les premiers hommes établis en Europe. Tout porte à croire que, mieux ces Australiens dolicho-
platycéphales seront étudiés, plus complets seront les fossiles humains dont l’avenir ne peut manquer de
nous révéler l’existence, et plus les liens se resserreront encore entre ces deux groupes ethniques si éloignés
cependant dans l’espace et dans le temps (3).
Chapitre VIII. Race Négrille ou Pygmée.
Les races nègres africaines, dont nous abordons maintenant l’étude, vont nous présenter une série de
types fort analogues à ceux de l’Asie et de l’Océanie qui viennent de passer sous nos yeux, et espacés à
peu près de la même façon sur l’échelle des indices céphaliques. Nous rencontrerons successivement du
haut en bas de cette échelle des sous-brachycéphales, des mésaticéphales, des sous-dolichocéphales, etc.
Comme nous l’avons fait précédemment, nous étudierons tout d’abord les premiers, que nous groupons
presque tous dans ce huitième chapitre, sous le nom commun de Négrilles ou de Pygmées.
dèscriptions que l’on a tracées de leur tête un certain nombre de détails qui les rapprochent singulièrement des indigènes du continent
austral. La saillie des arcades surcilières, le front fuyant, la dolichocéphalie accusée dont parle M. Marshall, se retrouvent en
partie sur plusieurs des photographies qu’il a publiées; et si l’on compare l’individu mâle dont il a donné le profil dans sa figure 3 (page 32)
avec le profil de l’Australien de Victoria que nous venons de représènter (Gg. 29),jm ne peut manquer de trouver, entre les deux
individus que ces représentations font connaître, des analogies frappantes.
(E. Hamy).
(1) Voy. plus haut, p. 39.
(2) Ch. L yell. Op. cit., trad. fr. Paris, 1864, in-8®, p. 90.
(3) Nous mentionnons, à l’appui de ce qui vient d’être dit, la découverte
récente faite par M. Piette dans les couches profondes de la grotte de
Gourdan d’une face humaine, dont la mandibule est fort semblable A celle
d’Arcy (voy. pl. haut, p. 25) et dont la mâchoire supérieure présente un ensemble
de caractères analogues à ceux qui viennent d’être mis en évidence.
L’un de nous doit publier cette pièce dans labelle monographie que M. Piette
prépare sur les grottes des Pyrénées qu’il a si heureusement exploitées.
Depuis l’impression de notre premier fascicule, M. Roujou qui, comme
on le sait, s'est beaucoup occupé de la permanence des types humains fossiles
au sein des populations actuelles, nous a adressé le dessin de l’un des
sujets belges uéanderthaloïdes qu’il a observés et auxquels nous avions fait
allusion dans la note 3 de la page 32. Nous donnons ci-joint ce dessin
(fig. 300) en résumant la note qui en accompagnait l’envoi. Voici d’abord le
signalement du personnage« Taille moyenne; cheveux aussi noirs qu’il
est possible ; sourcils épais et noirs ; yeux très bruns ; aréole du sein très
large et d’un brun noir; peau très foncée ; prognathisme marqué; lèvres
épaisses ; front fuyant; arcs surciliers très développés; » M. Roujou ajoute
Fig. 300.— Type dolichoplatycéphale néanderthaloïde,
d’après M. Roujou (réduction d’un portrait dessiné par
cet auteur).
qu’outre cette femme qu’il a vue à Choisy-le-Roi sur un bateau de charbon de terre venu du bassin de Mons, il a rencontré au même
lieu il y a quelques années une autre femme belge qui ne difl'érait de celle-ci que « parce que son visage était plus long, son front et
son menton moins fuyants et les dents moins saillantes, mais la pigmentation était au moins aussi marquée » (Gf. A. R oujou. Ite-
herches sur les races humaines de la France. Paris, 1873., in-8°, p. 64 et 123)?ij
§ 1 . — Historique.
L’existence des Pygmées a été signalée dès la plus haute antiquité; mais les poètes auxquels nous devons
les premières notions sur ces petits êtres (1) ont introduit dans les récits qu ils leur ont consacrés
de telles exagérations qu’un grand nombre de critiques ont cru devoir ne tenir aucun compte des indications
qu’ils fournissent. Cependant, comme les historiens parlent des Pygmées de la même façon que les
poètes, «sans adoucissement » et « sans restriction|§f ainsi que l’observe Baniér (2); comme Aristote
affirme (3) que ce que l’on raconte d’eux « n’est point une fable, mais une vérité » ; comme enfin
Nonnosus, Solin, Pomponiüs Mêla, Onésicrite, Aristée, Isogone, !Égésias, saint Augustin, saint Jérôme,
etc. (4), s’accordent sur leur existence, sur leur p'etite taille et quelques autres traits qui leur sont particuliers,
nous avions estimé, contrairement à l’opinion de Strabon (5), que ces légendes devaient
contenir un fonds de vérité, bien avant que les découvertes modernes en eussent confirmé l’exactitude
relative.
On sait aujourd’hui, grâce aux travaux de Miani, de MM. Schweinfürth, Marnô, etc., qu’une population
nègre de l’Afrique équatoriale se faitîj'nstement remarquer par l’exiguïté de taille, dont parlent sans
cesse les auteurs anciens qui ont traité des Pygmées, et de plus combinent avec ce caractère un certain
nombre de traits anatomiques des mieux accusés. Or, c'est vers le Nil supérieur que les poèmes d Homère,
d’Hésiode, de Claudien, etc., localisent avec plus ou moins de précision l’habitat des Pygmées.
C’est dans la zone équatoriale, mais à l’ouest, que les cinq Nasamons ont rencontré les petits hommes
« d’une stature fort inférieure à la moyenne » dont parle Hérodote (6). C est en Éthiopie que Nonnosus,
ambassadeur de l'empereur Justinien, trouva les petits Nègres que mentionne Photius ; enfin c est avec
les Nubas (Nuêai) du haut Nil qu’Hésichius tendait à confondre ses Pygmées (nuy^îoi) (7),
Aussi Banier qui, contre l’opinion de Scaliger, de Yossius, de Biaise de Yigénère, etc., s efforçait, au
dernier siècle, de réhabiliter la légende des Pygmées d’Afrique, cherchait-il à les rattacher aux Péchi-
niens, petit peuple placé par Ptolémée « entre la mer Rouge et l’Océan, sur le golfe Avalite, près du mont
Garbate et du fleuve Astaboras (l’Atbara) (8). » Delisle inscrivit dans la même région, sur une de ses
cartes d’Afrique, les Bakkes « qui suivant l’analogie de leur nom ne sauraient être que les Péchiniens de
Ptolémée » (9).. Dans ces Bakkes de Delisle, et dans les Bakke-Bakke placés par le même géographe sous
l’Équateur par 20° long. E. et dont Dapper a retrouvé le nom dans des documents portugais du seizième
siècle, il faut reconnaître presque sans aucun doute les Akkas d’une part, et de 1 autre les Babonkos,
(1) H0MBR./«ai.,l. VI. — Hesiod. in Strabon. Geogr.,\. VII. — N onnos.. Dionys, 1. IIL — Ovid. Metamorph., 1. VI. Fast., 1. VI.
J uvenal. Sat. 13.— Stat., 1 .1. Styl. 6 . - Claudian. Garni., 40,- e t c . - Gf. B anier. Dissertation sur les Pygmées (Mèm. Acad. Inscnpt.
et B e ll.-L e ttr .îV, p. 101, 1729, in-4°).
(2) 1d. Ibid., p . 104.
(3) Aristotelis De animalibus hisloriæ lib. VIII, cap. xii (Script. Græc. Bibl., vol. XXXIX, p. 156).
P |(4 ) P hot. Narrai. 40.— Pun. Hist. Nat. lib. VI, c. xxxv. — P ompon. Mel., 1. III, c. iv. — Athen., 1., IX, c. îv. —Ara.. G-ell. Noét.
Att. IX, — etc. . . . . . . . . . , , . . .
(5) Strabon (Geogr. XV, 57. Script. Græc. Bibl., vol. XXXVIII, p. 605) est le seul savant de l’antiquité qui ait me absolument l existence
des Pygmées. Nous renvoyons à là dissertation de Banier pour lâ réfutation de ses arguments (loc. cit., p. 105).
(6) H erodot. II, 32 (Script. Græc. Bibl., vol. XIX, p. 844, in 4°).
(7) Gtésias (Fragm. de rebus Indicis, H , (Script. Græc. Bibl., t. XIX), Pline (Hist. Nat., VU, 2), Philoslrate (Vit. Apoll., III, 47),
Élienne de Byzance, etc., ont introduit dans l’étude de la question quelques incertitudes, en confondant avec les petits Nègres d t îo-
pie, sous le nom commun de Pygmées, des Indiens des sources du Gange (quelques Négritos sans, doute) ou les Lapons du Nord.de
l’Europe, n’ayant en commun qu’une taille fort exiguë. Cette dernière confusion s’est maintenue dans les livres ou les cartes aiis
Magnus, de Paul Jove, de Mercator, etc.
(8) Mèm. Acad. Inscript, et Bell.-Lettr., t. V,p. 101,1729, in-4®.
(9) C'est du moins l’opinion de Banier (loc. cit., p. 112).