La classification de Blumenbach est au fond celle de Buffon, que l’auteur précise en la modifiant un
peu. Il supprime la première variété de Buffon, celle qui comprenait les Lapons et d’autres peuples du
haut Nord, et maintient les autres sous les noms de Caucasique, Mongolique, Éthiopique, Américaine et
Malaise. Ce sont, à part T Américaine, les races de Lavater. Elles empruntent leurs noms à des circonscriptions
géographiques, ce qui a le grave inconvénient de supposer des rapports qui peuvent ne pas exister
ou de rompre des affinités réelles ; mais cet inconvénient est atténué par les détails mêmes que donne
l’auteur. La classification de Lavater ne reposait déjà plus sur les caractères tirés de la couleur. Blumenbach
attribue, comme le célèbre physionomiste, une grande importance à ceux que fournit la conformation
générale de la tête,-si différente d’une race à l’autre; et, comme il s’attache le premier à déterminer exactement,
à l’aide d’un^ certain nombre d’observations, les éléments crâniologiques qui distinguent essentiellement
les types humains, il fait aussi le premier la distinction très-nette de plusieurs races secondaires
dans lesquelles on ne saurait méconnaître autant dégroupés naturels. Ces diverses races rentrent d’ailleurs
dans les cinq groupes que nous avons énumérés et qui, présentés d’abord avec leur valeur absolue dans
le Manuel d'histoire naturelle, ne sont plus considérés dans le De generis humani que comme des
variétés principales, varietates quinoe principes (1). Ces variétés principales ont pour l’auteur une valeur
inégale. Trois des cinq races sont regardées comme les premières et il les place en tête de sa
classification. Les deux autres ne sont, peur Blumenbach, que des passages; l’américaine représente
le passage de la caucasique à la mongolique, et la malaise, celui de la mongalique à l’éthiopique. Ces
races sont d’ailleurs rejetées à la fin, au lieu d’être placées intermédiairement, comme elles devraient
l’être, si elles n’étaient considérées comme des divisions d’un rang inférieur (2). -
Les trois premières races de Blumenbach reparaissent sous d’autres noms dans la classification de
Cuvier (3), si souvent reproduite depuis avec des variantes. L’illustre auteur du Règne animal semble
d’ailleurs adopter les vues de son prédécesseur relativement aux Malais et aux Américains.
Duméril a supprimé la race malaise et l’a remplacée par Y hyperboréenne (4), que l’on trouve déjà, mais
sans nom spécial, dàns Lacépède. Remarquons que ce dernier cherche à fonder la distinction des quatre
races qu?il a admises sur « les caractères tirés des formes remarquables des parties solides (5;). »
■Virey revient au dualisme de la fin du dix-huitième siècle, qu’il présente. sous une forme nouvelle.
Nous n’avons pas à insister ici sur son système, qui ne donné à l’étude de la tête qu’une place^ restreinte
.(6). Il en est de même , des classifications qui se succèdent deBory de Saint-Vincent (7) à Lesson (8),
à Hombron (9) et à M. Jacquinot (10).Mais Prichard(H), revenant auxidées de Lacépède et de Blumenbach,
expose, dès \ 826, une classification crâniologique qui range toutes les formes céphaliques dans trois
groupes appelés mêsobregmates, stènobregmates et platybregmates. Il modifie son opinion dans sa troisième
édition de façon à tenir compte d’un plus grand nombre de traits ; il trouve que le crâne présente trois formes 1 2 * 5 8 9 10 (I)
(1) J.-F. Blumenbach. Manuel d’histoire naturelle, trad. fr. Metz, 1803, in-8°, p. 70 et suiv. — De Generis Humani vandale hativa,
sect. IV, § 80 et sq., p. 284 de l'éd. de 1795. — Abbildungen ndlurhistorischer Gegenstände. Goettingen, 1810, in-8°. — Beyträge zur
Naturgeschichte, Th. I. Goettingen,. 1806, p. V et 70.
(2) Is. Geoffroy-Saint-Hilaire. Sur la classification anthropologique et particulièrement sur les types principaux du genre humain
(Mém. Soc. d'anthrop. de Paris, 1.1, p. 126-144, 1863).
. (3) G. Cuvier. Le Règne animal distribué d'après son organisation, nouvelle édition, 1.1, p. 80.
(I) Duméril. Traité élémentaire d histoire naturelle. Paris, 1804, in-8°, p. 374.
(5) ,Lacépède. Discours d'ouverture d'un cours de zoologie au Muséum. Paris, an VI, in-4°, p. 18.
' (6) Virey. Op. cif. Paris, 1824, 3 Vol. in-8°.
• (7) Bory de Saint-Vincent. Op. cit., 2 vol. in-18. Paris, 1827.
(8) Lesson. Hist. nat. de l’homme (Complément des oeuvres de Buffon, t. II), Paris, 1828,,in-8°.
(9) Hombron. L’homme dans ses rapports avec la création {Voy. au pôle sud et dans VOcéanie. Zoologie, t. I, Paris, 1846, passim). '
(10) H. Jacquinot. Considérations générales sur l’Anthropologie, suivies d’observations sur les races humaines de l’Amérique méridionale et
<k-l’Océanie (ibfd., t. II, passim).
(II) Prichard. Op. cit., 2° édit., 1826, vol..I, p. 173,
principales, savoir : la forme ovale ou symétrique {Européens et Asiatiques occidentaux), la forme étroite et
allongée [Nègres de la côte d’Or) et la forme large et carrée (Mongols). À chacune de ces formes crâniennes
se rattachent pour lui des caractères faciaux correspondants (1). On voit que cet ordre de considérations
ramène Prichard aux idées de Blumenbach et de Cuvier. Ainsi les traits de la face ont été
mis en usage dans cette dernière nomenclature aussi bien que ceux du crâne, et lès particularités fournies
par lé développement vertical ne sont pas moins importantes aux yeux de l’etbnologiste anglais, qué
ceux qui peuvent sé tirer d e 'l’étude du développement antéro-postérieur (2). Malheureusement, faute
d’être naturaliste, le savant médecin ne sut pas tirer parti du résultat de ses études. On sait qu’il n’a
donné auéühe classification réelle des races humaines, et qu’il a presque constamment suivi l’ordre
géographique dans les descriptions qu’il'en a faites.
Retzius ne s’occupe guère que du rapport existant entre les diamètres antéro-postérieur et transverse
de la boîte crânienne. La méthode qu’il a proposée (3) est simple et pratique, surtout quand on en facilite
l ’application à l’aide des modifications qu’y a successivement apportées M. Broca (4). Mais elle a été
poussée beaucoup trop loin par son auteur, et la dichotomie qu’elle introduit dans l’humanité tout entière,
a pour résultat d’établir des rapprochements ou de faire supposer des différences en désaccord avec
ce que nous apprend l’analyse des autres points de l'anatomie céphalique. Si l’on se reporte à l’atlas qui
accompagne les Elhnologische Schriften, on y voit juxtaposés comme dolichocéphales orthognathes le
Scandinave, le Guanche,.le Romain, etc. ; comme dolichocéphales prognathes le Nègre, l’Esquimau, le
Chinois, etc. Le groupe des brachycéphales prognathes comprend tout à la fois le Malais et l’Inca, le
Bouriate et l’Indien Sac, etc., etc. Le tort de cette classification est d’être systématique, comme on dit en
histoire naturelle ; c’est-à-dire de reposer sur un seul caractère.
Sans doute il peut arriver quelquefois que l’étude d’un caractère anatomique considéré isolément aboutisse
à des résultats généraux satisfaisants. C’est ainsi que comme Prichard, mais par une autre voie,M. Broca,
s’attachant à déterminer les rapports de hauteur et de largeur du squelette du nez, est arrivé à faire des races,
étudiées par lui à ce point de vue spécial, trois ensembles qu’il qualifie de platyrhiniens, de mé$orhiniens
et de leptorhiniens, et qui correspondent très-exactement aux grands groupes des Éthiopiques, des Mon-
goliques et des Caucasiques de Cuvier (5)i Mais dans l’immense majorité des cas il n’en est pas de même.
L’indice céphalique ne saurait, pas plus que l’angle facial, l’indice orbitaire, etc., fournir de semblables
résultats. Tous ces caractères anatomiques n’en ont pas moins leur valeur propre et incontestable. Dans
une classification méthodique des races humaines, on doit en tenir compte ; mais on doit prendre aussi en
considération les caractères physiques extérieurs, les caractères linguistiques... En un mot, celui qui
cherche à classer les groupes humains, doit procéder comme le naturaliste* et faire entrer en ligne de
compte, non pas un seul caractère, quelque important qu’il soit, mais tous les caractères.
L’un de nous a insisté depuis longtemps sur les considérations de cette nature, dans son enseignement
et ailleurs (6.). Ces convictions nous sont communes. Mais nous ne saurions, dans l’ouvrage actuel, faire
l’application rigoureuse de la méthode, puisqu’il porte sur la tête osseuse seule. Le champ restreint de nos
études nous force de recourir au système. Ici la classification que permet d’établir le-système de Retzius
' (1) Prichard. Op. cit., 3® éd., t. I, p. 281.
’ (2) Voy. plus haut, p. 159. • ' • ■ ■ «
(3) Voy. plus haut, p. 460.
. G) -R- B roca. Sur des crânes provenant d’un cimetière de la Gilé, antérieurs au treizième siècle •(Bull. Soc. d’anthrop., t. II, pp. 505,
507, etc. 4864. Cf. ibid., t. III, p. 585, 4862; t. VI, p. 513, 1865, et P. B roca, Sur la classification et là nomenclature crâniologique
d’après les indice*cépliàUques {Rev. d’Anthrop., t. I, p. '385-423, 1872).
(5):P. B roca. flee/terc/ies sur l’indice nasal (Rev. d’AnthrOp-., 1.1 , p: 1 à ‘35,1872): • • 1
v;\ (6) A. de Quatrefages. Rapport sur les progrès de V anthropologie ; appendice,application de la méthode naturelle à la classification dés
races humaines. . j y v